Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/174

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donnée, et Sainte-Thérèse aussi ; elles ont bien fait. Puisque Sainte-Suzanne n’y est plus, je puis sortir, je ne la rencontrerai pas… Ah ! si je la rencontrais ! mais elle n’y est plus, n’est-ce pas ? n’est-ce pas qu’elle n’y est plus ?… Heureuse la maison qui la possède ! Elle dira tout à sa nouvelle supérieure ; que pensera-t-elle de moi ?… Est-ce que Sainte-Thérèse est morte ? j’ai entendu sonner en mort toute la nuit… La pauvre fille ! elle est perdue à jamais ; et c’est moi ! c’est moi ! Un jour, je lui serai confrontée ; que lui dirai-je ? que lui répondrai-je ?… Malheur à elle ! Malheur à moi ! »

Dans un autre moment, elle disait : « Nos sœurs sont-elles revenues ? Dites-leur que je suis bien malade… Soulevez mon oreiller… Délacez-moi… Je sens là quelque chose qui m’oppresse… La tête me brûle, ôtez-moi mes coiffes… Je veux me laver… Apportez-moi de l’eau ; versez, versez encore… Elles sont blanches ; mais la souillure de l’âme est restée… Je voudrais être morte ; je voudrais n’être point née, je ne l’aurais point vue. »

Un matin, on la trouva pieds nus, en chemise, échevelée, hurlant, écumant et courant autour de sa cellule, les mains posées sur ses oreilles, les yeux fermés et le corps pressé contre la muraille… « Éloignez-vous de ce gouffre ; entendez-vous ces cris ? Ce sont les enfers ; il s’élève de cet abîme profond des feux que je vois ; du milieu des feux j’entends des voix confuses qui m’appellent… Mon Dieu, ayez pitié de moi !… Allez vite ; sonnez, assemblez la communauté ; dites qu’on prie pour moi, je prierai aussi… Mais à peine fait-il jour, nos sœurs dorment… Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit ; je voudrais dormir, et je ne saurais. »

Une de nos sœurs lui disait : « Madame, vous avez quelque peine ; confiez-la-moi, cela vous soulagera peut-être.

— Sœur Agathe, écoutez, approchez-vous de moi … plus près… plus près encore… il ne faut pas qu’on nous entende. Je vais tout révéler, tout ; mais gardez-moi le secret… Vous l’avez vue ? — Qui, madame ?

— N’est-il pas vrai que personne n’a la même douceur ? Comme elle marche ! Quelle décence ! quelle noblesse ! quelle modestie !… Allez à elle ; dites-lui… Eh ! non, ne dites rien ; n’allez pas… Vous n’en pourriez approcher ; les anges du ciel la