Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/202

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à notre infortunée, et sur quelque prudence que je tiens de l’expérience. La joie que votre dernière lettre lui a causée, lui a donné un petit mouvement dans le pouls ; mais ce ne sera rien.

J’ai l’honneur d’être, avec les sentiments les plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante,

Signé : Moreau-Madin.
À Paris, ce 3 mars 1760.


L’idée de Mme Madin de se faire adresser à un des amis du généreux protecteur de sœur Suzanne, était une suggestion de Satan, au moyen de laquelle ses suppôts espéraient inspirer adroitement à leur ami de Normandie de s’adresser à moi et de me mettre dans la confidence de toute cette affaire ; ce qui réussit parfaitement, comme vous verrez par la suite de cette correspondance.


LETTRE
de sœur suzanne à m. le marquis de croismare.


Monsieur, maman Madin m’a remis les deux réponses dont vous m’avez honorée, et m’a fait part aussi de la lettre que vous lui avez écrite. J’accepte, j’accepte. C’est cent fois mieux que je ne mérite ; oui, cent fois, mille fois mieux. J’ai si peu de monde, si peu d’expérience, et je sens si bien tout ce qu’il me faudrait pour répondre dignement à votre confiance ; mais j’espère tout de votre indulgence, de mon zèle et de ma reconnaissance. Ma place me fera, et maman Madin dit que cela vaut mieux que si j’étais faite à ma place. Mon Dieu ! que je suis pressée d’être guérie, d’aller me jeter aux pieds de mon bienfaiteur, et de le servir auprès de sa chère fille en tout ce qui dépendra de moi ! On me dit que ce ne sera guère avant un mois. Un mois ! c’est bien du temps. Mon cher monsieur, conservez-moi votre bienveillance. Je ne me sens pas de joie ; mais ils ne veulent pas que j’écrive, ils m’empêchent de lire, ils me tiennent au lit, ils me noient de tisane, ils me font mourir de