Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/259

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Il y a de très-beaux vers dans ces morceaux, mais presque aucun morceau qui soit entièrement beau ; on sent à chaque instant que le poëte fatigue et se lasse.

Il y a tant d’orages, et tant de beaux orages, qu’il est dangereux de troubler le ciel, de faire mugir les vents, d’allumer l’éclair, et de faire gronder le tonnerre, après Homère et Virgile. Au lieu de s’attacher, comme ces grands hommes, à quelques phénomènes effrayants, on en a entassé une foule les uns sur les autres : excellent moyen pour se donner bien du travail, et ne rien peindre ; ce qui est arrivé à M. de Saint-Lambert.

Cependant le poëte suspend l’orage, et se livre aux préparatifs de la moisson. Le laboureur Polémon veut


Que ses enfants, demain avant l’aurore,
Coupent le tendre osier, le jeune sycomore,
Et forment les liens qui doivent enchaîner
Ces épis que Cérès s’apprête à lui donner.


Mais au milieu de ce travail, Damon, le seigneur du village, épris de Lise, fille de Polémon, met tout en œuvre pour la séduire. Il l’épie, il la suit, il la surprend au bain sur la fin du jour ; il se précipite sur elle, il la serre toute nue entre ses bras ; et Lise était perdue, si tout à coup Damon n’eût senti le remords. Lise, éplorée, raconte à son père le péril qu’elle a couru ; le lendemain Polémon se présente à son seigneur, lui reproche son attentat, et lui demande son congé. Damon, sans lui répondre, sort, court chercher dans la prairie Lucas, amant de Lise, l’amène à Polémon, reconnaît sa faute, dote les deux amants, les marie, et la noce se fait.

Cet épisode est trop long, et n’a rien de piquant ; c’est l’amplification d’un écolier de rhétorique, doué supérieurement du talent de la versification. Sans quelques-unes des pièces fugitives de M. de Saint-Lambert, où il y a vraiment du sentiment et de la verve, je dirais que c’est un bon rimeur, mais non pas un poëte. Ce qu’il ignore surtout, c’est le secret des laissés. Le premier peintre que vous trouverez vous expliquera ce mot.

Mais, me direz-vous, M. de Saint-Lambert est instruit ?

— Plus que beaucoup de littérateurs, mais un peu moins qu’il ne croit l’être.