Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/322

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toute éternité, c’est que l’homme et la femme sont deux bêtes très-malfaisantes.

— Cependant l’épidémie vous a gagné, et vous avez payé votre écot tout comme un autre.

— C’est que bon gré, mal gré qu’on en ait, on se prête au ton donné ; qu’en entrant dans une société, d’usage, on arrange à la porte d’un appartement jusqu’à sa physionomie sur celles qu’on voit ; qu’on contrefait le plaisant, quand on est triste ; le triste, quand on serait tenté d’être plaisant ; qu’on ne veut être étranger à quoi que ce soit ; que le littérateur politique ; que le politique métaphysique ; que le métaphysicien moralise ; que le moraliste parle finance ; le financier, belles-lettres ou géométrie ; que, plutôt que d’écouter ou se taire, chacun bavarde de ce qu’il ignore, et que tous s’ennuient par sotte vanité ou par politesse.

— Vous avez de l’humeur.

— À mon ordinaire.

— Et je crois qu’il est à propos que je réserve mon historiette pour un moment plus favorable.

— C’est-à-dire que vous attendrez que je n’y sois pas.

— Ce n’est pas cela.

— Ou que vous craignez que je n’aie moins d’indulgence pour vous, tête à tête, que je n’en aurais pour un indifférent en société.

— Ce n’est pas cela.

— Ayez donc pour agréable de me dire ce que c’est.

— C’est que mon historiette ne prouve pas plus que celles qui vous ont excédé.

— Hé ! dites toujours.

— Non, non ; vous en avez assez.

— Savez-vous que de toutes les manières qu’ils ont de me faire enrager, la vôtre m’est la plus antipathique ?

— Et quelle est la mienne ?

— Celle d’être prié de la chose que vous mourez d’envie de faire. Hé bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie de vouloir bien vous satisfaire.

— Me satisfaire !

— Commencez, pour Dieu, commencez.

— Je tâcherai d’être court.