Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/401

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lui.

Oui, aux échecs, aux dames, en poésie, en éloquence, en musique et autres fadaises comme cela. À quoi bon la médiocrité dans ces genres ?

moi.

À peu de chose, j’en conviens. Mais c’est qu’il faut qu’il y ait un grand nombre d’hommes qui s’y appliquent pour faire sortir l’homme de génie. Il est un dans la multitude. Mais laissons cela. Il y a une éternité que je ne vous ai vu. Je ne pense guère à vous quand je ne vous vois pas, mais vous me plaisez toujours à revoir. Qu’avez-vous fait ?

lui.

Ce que vous, moi et tous les autres font, du bien, du mal, et rien. Et puis j’ai eu faim, et j’ai mangé, quand l’occasion s’en est présentée ; après avoir mangé, j’ai eu soif et j’ai bu quelquefois. Cependant la barbe me venait, et quand elle a été venue je l’ai fait raser.

moi.

Vous avez mal fait ; c’est la seule chose qui vous manque pour être un sage.

lui.

Oui-da. J’ai le front grand et ridé, l’œil ardent, le nez saillant, les joues larges, le sourcil noir et fourni, la bouche bien fendue, la lèvre rebordée et la face carrée. Si ce vaste menton était couvert d’une longue barbe, savez-vous que cela figurerait très-bien en bronze ou en marbre ?

moi.

À côté d’un César, d’un Marc-Aurèle, d’un Socrate.

lui.

Non. Je serais mieux entre Diogène et Phryné. Je suis effronté comme l’un, et je fréquente volontiers chez les autres[1].

moi.

Vous portez-vous toujours bien ?

  1. Pour expliquer ce : les autres, les éditions françaises ont ajouté, en italique : Laïs à Phryné, sans réfléchir qu’un buste peut bien être placé entre deux autres, mais bien difficilement entre trois. Les autres est un exemple frappant de la façon dont Diderot faisait accorder les idées et non les mots ; les autres, comme Phryné, représente les courtisanes en bloc.