Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/489

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magne, en Suisse, en Hollande, en Flandre, au diable au vert.

moi.

Sous le tonneau percé ?

lui.

Sous le tonneau percé. C’était un juif opulent et dissipateur, qui aimait la musique et mes folies. Je musiquais comme il plaît à Dieu ; je faisais le fou ; je ne manquais de rien. Mon juif était un homme qui savait sa loi et qui l’observait raide comme une barre, quelquefois avec l’ami, toujours avec l’étranger. Il se fit une mauvaise affaire qu’il faut que je vous raconte, car elle est plaisante.

Il y avait à Utrecht une courtisane charmante. Il fut tenté de la chrétienne ; il lui dépêcha un grison avec une lettre de change assez forte. La bizarre créature rejeta son offre. Le juif en fut désespéré. Le grison lui dit : « Pourquoi vous affliger ainsi ? Si vous voulez coucher avec une jolie femme, rien n’est plus aisé, et même de coucher avec une plus jolie que celle que vous poursuivez ; c’est la mienne que je vous céderai au même prix. » Fait et dit. Le grison garde la lettre de change, et mon juif couche avec la femme du grison. L’échéance de la lettre de change arrive ; le juif la laisse protester et s’inscrit en faux. Procès. Le juif disait : « Jamais cet homme n’osera dire à quel prix il possède ma lettre, et je ne la payerai pas. » À l’audience il interpelle le grison. « Cette lettre de change, de qui la tenez-vous ?

— De vous.

— Est-ce pour de l’argent prêté ?

— Non.

— Est-ce pour fourniture de marchandises ?

— Non.

— Est-ce pour services rendus ?

— Non ; mais il ne s’agit point de cela, j’en suis possesseur, vous l’avez signée, et vous l’acquitterez.

— Je ne l’ai pas signée.

— Je suis donc un faussaire ?

— Vous ou un autre dont vous êtes l’agent.

— Je suis un lâche, mais vous êtes un coquin ; croyez-moi, ne me poussez pas à bout, je dirai tout ; je me déshonorerai, mais je vous perdrai… »