Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/56

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punie. J’ai du courage ; mais il n’en est point qui tienne contre l’abandon, la solitude et la persécution. Les choses en vinrent au point qu’on se fit un jeu de me tourmenter ; c’était l’amusement de cinquante personnes liguées. Il m’est impossible d’entrer dans tout le petit détail de ces méchancetés ; on m’empêchait de dormir, de veiller, de prier. Un jour on me volait quelques parties de mon vêtement ; une autre fois c’étaient mes clefs ou mon bréviaire ; ma serrure se trouvait embarrassée ; ou l’on m’empêchait de bien faire, ou l’on dérangeait les choses que j’avais bien faites ; on me supposait des discours et des actions ; on me rendait responsable de tout, et ma vie était une suite de délits réels ou simulés, et de châtiments.

Ma santé ne tint point à des épreuves si longues et si dures ; je tombai dans l’abattement, le chagrin et la mélancolie. J’allais dans les commencements chercher de la force et de la résignation au pied des autels, et j’y en trouvais quelquefois. Je flottais entre la résignation et le désespoir, tantôt me soumettant à toute la rigueur de mon sort, tantôt pensant à m’en affranchir par des moyens violents. Il y avait au fond du jardin un puits profond ; combien de fois j’y suis allée ! combien j’y ai regardé de fois ! Il y avait à côté un banc de pierre ; combien de fois je m’y suis assise, la tête appuyée sur le bord de ce puits ! Combien de fois, dans le tumulte de mes idées, me suis-je levée brusquement et résolue à finir mes peines ! Qu’est-ce qui m’a retenue ? Pourquoi préférais-je alors de pleurer, de crier à haute voix, de fouler mon voile aux pieds, de m’arracher les cheveux, et de me déchirer le visage avec les ongles ? Si c’était Dieu qui m’empêchait de me perdre, pourquoi ne pas arrêter aussi tous ces autres mouvements ?

Je vais vous dire une chose qui vous paraîtra fort étrange peut-être, et qui n’en est pas moins vraie, c’est que je ne doute point que mes visites fréquentes vers ce puits n’aient été remarquées, et que mes cruelles ennemies ne se soient flattées qu’un jour j’accomplirais un dessein qui bouillait au fond de mon cœur. Quand j’allais de ce côté, on affectait de s’en éloigner et de regarder ailleurs. Plusieurs fois j’ai trouvé la porte du jardin ouverte à des heures où elle devait être fermée, singulièrement les jours où l’on avait multiplié sur moi les chagrins ; l’on avait poussé à bout la violence de mon caractère, et l’on me croyait