Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/93

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ordonné de marcher sur moi, ce que quelques-unes ont fait ; mais je leur pardonne et à vous, madame, de l’avoir ordonné ; je ne suis pas venue pour accuser personne, mais pour me défendre.

— Pourquoi n’avez-vous ni rosaire, ni crucifix ?

— C’est qu’on me les a ôtés.

— Où est votre bréviaire ?

— On me l’a ôté.

— Comment priez-vous donc ?

— Je fais ma prière de cœur et d’esprit, quoiqu’on m’ait défendu de prier.

— Qui est-ce qui vous a fait cette défense ?

— Madame… »

La supérieure allait encore parler.

« Madame, lui dit-il, est-il vrai ou faux que vous lui ayez défendu de prier ? Dites oui ou non.

— Je croyais, et j’avais raison de croire…

— Il ne s’agit pas de cela ; lui avez-vous défendu de prier, oui ou non ?

— Je lui ai défendu, mais… »

Elle allait continuer.

« Mais, reprit l’archidiacre, mais… Sœur Suzanne, pourquoi êtes-vous pieds nus ?

— C’est qu’on ne me fournit ni bas, ni souliers.

— Pourquoi votre linge et vos vêtements sont-ils dans cet état de vétusté et de malpropreté ?

— C’est qu’il y a plus de trois mois qu’on me refuse du linge, et que je suis forcée de coucher avec mes vêtements.

— Pourquoi couchez-vous avec vos vêtements ?

— C’est que je n’ai ni rideaux, ni matelas, ni couvertures, ni draps, ni linge de nuit.

— Pourquoi n’en avez-vous point ?

— C’est qu’on me les a ôtés.

— Êtes-vous nourrie ?

— Je demande à l’être.

— Vous ne l’êtes donc pas ? »

Je me tus ; et il ajouta :

« Il est incroyable qu’on en ait usé avec vous si sévèrement, sans que vous ayez commis quelque faute qui l’ait mérité.