Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/132

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Jacques.

Tant mieux ! mais jurez-le-moi.

Le maître.

Je te le jure.

Lecteur, je serais bien tenté d’exiger de vous le même serment ; mais je vous ferai seulement remarquer dans le caractère de Jacques une bizarrerie qu’il tenait apparemment de son grand-père Jason, le brocanteur silencieux ; c’est que Jacques, au rebours des bavards, quoiqu’il aimât beaucoup à dire, avait en aversion les redites. Aussi disait-il quelquefois à son maître : « Monsieur me prépare le plus triste avenir ; que deviendrai-je quand je n’aurai plus rien à dire ?

— Tu recommenceras.

— Jacques, recommencer ! Le contraire est écrit là-haut ; et s’il m’arrivait de recommencer, je ne pourrais m’empêcher de m’écrier : « Ah ! si ton grand-père t’entendait !… » et je regretterais le bâillon. »

Jacques.

Dans le temps qu’on jouait aux jeux de hasard aux foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent…

Le maître.

Mais c’est à Paris, et le camarade de ton capitaine était commandant d’une place frontière.

Jacques.

Pour Dieu, monsieur, laissez-moi dire… Plusieurs officiers entrèrent dans une boutique, et y trouvèrent un autre officier qui causait avec la maîtresse de la boutique. L’un d’eux proposa à celui-ci de jouer au passe-dix ; car il faut que vous sachiez qu’après la mort de mon capitaine, son camarade, devenu riche, était aussi devenu joueur. Lui donc, ou M. de Guerchy, accepte. Le sort met le cornet à la main de son adversaire qui passe, passe, passe, que cela ne finissait point. Le jeu s’était échauffé, et l’on avait joué le tout, le tout du tout, les petites moitiés, les grandes moitiés, le grand tout, le grand tout du tout, lorsqu’un des assistants s’avisa de dire à M. de Guerchy, ou au camarade de mon capitaine, qu’il ferait bien de s’en tenir là et de cesser de jouer, parce qu’on en savait plus que lui. Sur ce propos, qui n’était qu’une plaisanterie, le camarade de mon capitaine, ou M. de Guerchy, crut qu’il avait affaire à un filou ;