Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/16

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lier. Lecteur, je vous ai rendu compte de la Religieuse, et je désire que vous ayez été aussi content de mon extrait que je l’étais du roman. Je vous parlerai aujourd’hui de Jacques le Fataliste avec autant de franchise, mais avec bien moins de plaisir.

« Vous connaissez Rabelais ? vous connaissez Sterne ? Si vous ne les connaissez pas, je vous conseille de les lire, surtout le dernier ; mais si vous voulez connaître une très-faible imitation de Tristram Shandy, vous n’avez qu’à lire Jacques le Fataliste.

« Diderot n’a de son modèle que le décousu et le défaut de liaison. » (Décade philosophique, t. XI, p. 224.)

Cependant le critique, en continuant son extrait, trouve des morceaux « très-vifs, très-animés, qui rappellent le ton des plus jolies narrations de Mme de Sévigné. » S’il conclut en disant que Jacques ne vaut pas beaucoup mieux que les Bijoux indiscrets, c’est qu’il a été surtout frappé par les passages licencieux.

Ne nous attachons pas à ces passages, et demandons-nous si réellement Diderot n’a fait que copier Sterne. Dans le Catalogue d’une jolie collection de livres rares et curieux provenant de la bibliothèque d’un homme de lettres bien connu (René Pincebourde, 1871), cet homme de lettres, M. Ch. Monselet, dit de Jacques le Fataliste : « Chef-d’œuvre à la diable, écrit sous l’influence directe de Sterne, et où l’on retrouve avec stupéfaction des pages entières copiées de Tristram Shandy. » Qui ne croirait, après cela, qu’il s’agit de quelque chose de pis qu’une imitation, et qu’on a affaire à un plagiat ? Il en est tout autrement.

Ces « pages entières » consistent en deux fragments, l’un au commencement du livre, l’autre à l’avant-dernier feuillet, et celui-ci est ainsi annoncé : « Voici le second paragraphe (du prétendu manuscrit d’où est tirée l’histoire des amours de Jacques), copié de la Vie de Tristram Shandy, à moins que l’entretien de Jacques le Fataliste et de son maître ne soit antérieur à cet ouvrage, et que le ministre Sterne ne soit le plagiaire[1], ce que je ne crois pas, mais par une estime toute parti-

  1. L’accusation de plagiat n’a pas été ménagée à Sterne, en Angleterre. On a noté tous les passages qu’il avait empruntés, bien plus pour s’en moquer que pour se les approprier, il est vrai, mais qu’il a eu le tort, par excès d’humour, de ne pas désigner assez clairement comme des citations.