Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/160

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et j’exige que vous ne l’ouvriez qu’en sa présence. Mlle Duquênoi accepta la lettre et la remit à sa mère, qui la fit passer sur le champ à Mme de La Pommeraye. Celle-ci, munie de ce papier, fit venir le prêtre, l’accabla des reproches qu’il méritait, et le menaça de le déférer à ses supérieurs, si elle entendait encore parler de lui.

Dans cette lettre, le marquis s’épuisait en éloges de sa propre personne, en éloges de Mlle Duquênoi ; peignait sa passion aussi violente qu’elle l’était, et proposait des conditions fortes, même un enlèvement.

Après avoir fait la leçon au prêtre, Mme de La Pommeraye appela le marquis chez elle ; lui représenta combien sa conduite était peu digne d’un galant homme ; jusqu’où elle pouvait être compromise ; lui montra sa lettre, et protesta que, malgré la tendre amitié qui les unissait, elle ne pouvait se dispenser de la produire au tribunal des lois, ou de la remettre à Mme Duquênoi, s’il arrivait quelque aventure éclatante à sa fille. « Ah ! marquis, lui dit-elle, l’amour vous corrompt ; vous êtes mal né, puisque le faiseur de grandes choses ne vous en inspire que d’avilissantes. Et que vous ont fait ces pauvres femmes, pour ajouter l’ignominie à la misère ? Faut-il que, parce que cette fille est belle, et veut rester vertueuse, vous en deveniez le persécuteur ? Est-ce à vous à lui faire détester un des plus beaux présents du ciel ? Par où ai-je mérité, moi, d’être votre complice ? Allons, marquis, jetez-vous à mes pieds, demandez-moi pardon, et faites serment de laisser mes tristes amies en repos. » Le marquis lui promit de ne plus rien entreprendre sans son aveu ; mais qu’il fallait qu’il eût cette fille à quelque prix que ce fût.

Le marquis ne fut point du tout fidèle à sa parole. La mère était instruite ; il ne balança pas à s’adresser à elle. Il avoua le crime de son projet ; il offrit une somme considérable, des espérances que le temps pourrait amener ; et sa lettre fut accompagnée d’un écrin de riches pierreries.

Les trois femmes tinrent conseil. La mère et la fille inclinaient à accepter ; mais ce n’était pas là le compte de Mme de La Pommeraye. Elle revint sur la parole qu’on lui avait donnée ; elle menaça de tout révéler ; et au grand regret de nos deux dévotes, dont la jeune détacha de ses oreilles des girandoles qui