Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/161

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lui allaient si bien, l’écrin et la lettre furent renvoyés avec une réponse pleine de fierté et d’indignation.

Mme de La Pommeraye se plaignit au marquis du peu de fond qu’il y avait à faire sur ses promesses. Le marquis s’excusa sur l’impossibilité de lui proposer une commission si indécente. « Marquis, marquis, lui dit Mme de La Pommeraye, je vous ai déjà prévenu, et je vous le répète : vous n’en êtes pas où vous voudriez ; mais il n’est plus temps de vous prêcher, ce seraient paroles perdues : il n’y a plus de ressources. »

Le marquis avoua qu’il le pensait comme elle, et lui demanda la permission de faire une dernière tentative ; c’était d’assurer des rentes considérables sur les deux têtes, de partager sa fortune avec les deux femmes, et de les rendre propriétaires à vie d’une de ses maisons à la ville, et d’une autre à la campagne. « Faites, lui dit la marquise ; je n’interdis que la violence ; mais croyez, mon ami, que l’honneur et la vertu, quand elle est vraie, n’ont point de prix aux yeux de ceux qui ont le bonheur de les posséder. Vos nouvelles offres ne réussiront pas mieux que les précédentes : je connais ces femmes et j’en ferais la gageure. »

Les nouvelles propositions sont faites. Autre conciliabule des trois femmes. La mère et la fille attendaient en silence la décision de Mme de La Pommeraye. Celle-ci se promena un moment sans parler. « Non, non, dit-elle, cela ne suffit pas à mon cœur ulcéré. » Et aussitôt elle prononça le refus ; et aussitôt ces deux femmes fondirent en larmes, se jetèrent à ses pieds, et lui représentèrent combien il était affreux pour elles de repousser une fortune immense, qu’elles pouvaient accepter sans aucune fâcheuse conséquence. Mme de La Pommeraye leur répondit sèchement : « Est-ce que vous imaginez que ce que je fais, je le fais pour vous ? Qui êtes-vous ? Que vous dois-je ? À quoi tient-il que je ne vous renvoie l’une et l’autre à votre tripot ? Si ce que l’on vous offre est trop pour vous, c’est trop peu pour moi. Écrivez, madame, la réponse que je vais vous dicter, et qu’elle parte sous mes yeux. » Ces femmes s’en retournèrent encore plus effrayées qu’affligées.

Jacques.

Cette femme a le diable au corps, et que veut-elle donc ? Quoi ! un refroidissement d’amour n’est pas assez puni par le sacrifice de la moitié d’une grande fortune ?