Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/188

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ils prenaient un animal pour commander aussi à quelqu’un. Eh bien ! dit Jacques, chacun a son chien. Le ministre est le chien du roi, le premier commis est le chien du ministre, la femme est le chien du mari, ou le mari le chien de la femme ; Favori est le chien de celle-ci, et Thibaud est le chien de l’homme du coin. Lorsque mon maître me fait parler quand je voudrais me taire, ce qui, à la vérité, m’arrive rarement, continua Jacques ; lorsqu’il me fait taire quand je voudrais parler, ce qui est très difficile ; lorsqu’il me demande l’histoire de mes amours, et que j’aimerais mieux causer d’autre chose ; lorsque j’ai commencé l’histoire de mes amours, et qu’il l’interrompt : que suis-je autre chose que son chien ? Les hommes faibles sont les chiens des hommes fermes.

Le maître.

Mais, Jacques, cet attachement pour les animaux, je ne le remarque pas seulement dans les petites gens, je connais de grandes dames entourées d’une meute de chiens, sans compter les chats, les perroquets, les oiseaux.

Jacques.

C’est leur satire et celle de ce qui les entoure. Elles n’aiment personne ; personne ne les aime : et elles jettent aux chiens un sentiment dont elles ne savent que faire.

Le marquis des Arcis.

Aimer les animaux ou jeter son cœur aux chiens, cela est singulièrement vu.

Le maître.

Ce qu’on donne à ces animaux-là suffirait à la nourriture de deux ou trois malheureux.

Jacques.

À présent en êtes-vous surpris ?

Le maître.

Non.

Le marquis des Arcis tourna les yeux sur Jacques, sourit de ses idées ; puis, s’adressant à son maître, il lui dit : Vous avez là un serviteur qui n’est pas ordinaire.

Le maître.

Un serviteur, vous avez bien de la bonté : c’est moi qui suis le sien ; et peu s’en est fallu que ce matin, pas plus tard, il ne me l’ait prouvé en forme.