Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/201

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d’Hudson ; il n’y avait pas un moine dans sa maison que son regard ne fît trembler. Quelques mois après il fut pourvu d’une riche abbaye. Le général en conçut un dépit mortel. Il était vieux, et il y avait tout à craindre que l’abbé Hudson ne lui succédât. Il aimait tendrement Richard. « Mon pauvre ami, lui dit-il un jour, que deviendrais-tu si tu tombais sous l’autorité du scélérat Hudson ? J’en suis effrayé. Tu n’es point engagé ; si tu m’en croyais, tu quitterais l’habit… » Richard suivit ce conseil, et revint dans la maison paternelle, qui n’était pas éloignée de l’abbaye possédée par Hudson.

Hudson et Richard fréquentant les mêmes maisons, il était impossible qu’ils ne se rencontrassent pas, et en effet ils se rencontrèrent. Richard était un jour chez la dame d’un château situé entre Châlons et Saint-Dizier, mais plus près de Saint-Dizier que de Châlons, et à une portée de fusil de l’abbaye d’Hudson. La dame lui dit : « Nous avons ici votre ancien prieur : il est très aimable, mais au fond, quel homme est-ce ?

— Le meilleur des amis et le plus dangereux des ennemis.

— Est-ce que vous ne seriez pas tenté de le voir ?

— Nullement… »

À peine eut-il fait cette réponse qu’on entendit le bruit d’un cabriolet qui entrait dans les cours, et qu’on en vit descendre Hudson avec une des plus belles femmes du canton. « Vous le verrez malgré que vous en ayez, lui dit la dame du château, car c’est lui. »

La dame du château et Richard vont au-devant de la dame du cabriolet et de l’abbé Hudson. Les dames s’embrassent : Hudson en s’approchant de Richard, et le reconnaissant, s’écrie : « Eh ! c’est vous, mon cher Richard ? vous avez voulu me perdre, je vous le pardonne ; pardonnez-moi votre visite au petit Châtelet, et n’y pensons plus.

— Convenez, monsieur l’abbé, que vous étiez un grand vaurien.

— Cela se peut.

— Que, si l’on vous avait rendu justice, la visite au Châtelet, ce n’est pas moi, c’est vous qui l’auriez faite.

— Cela se peut… C’est, je crois, au péril que je courus alors, que je dois mes nouvelles mœurs. Ah ! mon cher Richard, combien cela m’a fait réfléchir, et que je suis changé !