Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/202

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— Cette femme avec laquelle vous êtes venu est charmante.

— Je n’ai plus d’yeux pour ces attraits-là.

— Quelle taille !

— Cela m’est devenu bien indifférent.

— Quel embonpoint !

— On revient tôt ou tard d’un plaisir qu’on ne prend que sur le faîte d’un toit, au péril à chaque mouvement de se rompre le cou.

— Elle a les plus belles mains du monde.

— J’ai renoncé à l’usage de ces mains-là. Une tête bien faite revient à l’esprit de son état, au seul vrai bonheur.

— Et ces yeux qu’elle tourne sur vous à la dérobée ; convenez que vous, qui êtes connaisseur, vous n’en avez guère attaché de plus brillants et de plus doux. Quelle grâce, quelle légèreté et quelle noblesse dans sa démarche, dans son maintien !

— Je ne pense plus à ces vanités ; je lis l’Écriture, je médite les Pères.

— Et de temps en temps les perfections de cette dame. Demeure-t-elle loin du Moncetz ? Son époux est-il jeune ?… »

Hudson, impatienté de ces questions, et bien convaincu que Richard ne le prendrait pas pour un saint, lui dit brusquement : « Mon cher Richard, vous vous f..... de moi, et vous avez raison. »

Mon cher lecteur, pardonnez-moi la propriété de cette expression ; et convenez qu’ici comme dans une infinité de bons contes, tels, par exemple, que celui de la conversation de Piron et de feu l’abbé Vatri, le mot honnête gâterait tout. — Qu’est-ce que c’est que cette conversation de Piron et de l’abbé Vatri ? — Allez la demander à l’éditeur de ses ouvrages, qui n’a pas osé l’écrire ; mais qui ne se fera pas tirer l’oreille pour vous la dire.

Nos quatre personnages se rejoignirent au château ; on dîna bien, on dîna gaiement, et sur le soir on se sépara avec promesse de se revoir… Mais tandis que le marquis des Arcis causait avec le maître de Jacques, Jacques de son côté n’était pas muet avec monsieur le secrétaire Richard, qui le trouvait un franc original, ce qui arriverait plus souvent parmi les hommes, si l’éducation d’abord, ensuite le grand usage du monde, ne les usaient comme ces pièces d’argent qui, à force de circuler, perdent leur em-