Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/232

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esclave[1] aux miroirs concaves ? Pourquoi n’avez-vous de l’indulgence que pour les morts ? Si vous réfléchissiez un peu à cette partialité, vous verriez qu’elle naît de quelque principe vicieux. Si vous êtes innocent, vous ne me lirez pas ; si vous êtes corrompu, vous me lirez sans conséquence. Et puis, si ce que je vous dis là ne vous satisfait pas, ouvrez la préface de Jean-Baptiste Rousseau, et vous y trouverez mon apologie. Quel est celui d’entre vous qui osât blâmer Voltaire d’avoir composé la Pucelle ? Aucun. Vous avez donc deux balances pour les actions des hommes ? Mais, dites-vous, la Pucelle de Voltaire est un chef-d’œuvre ! — Tant pis, puisqu’on ne l’en lira que davantage. — Et votre Jacques n’est qu’une insipide rapsodie de faits les uns réels, les autres imaginés, écrits sans grâce et distribués sans ordre. — Tant mieux, mon Jacques en sera moins lu. De quelque côté que vous vous tourniez, vous avez tort. Si mon ouvrage est bon, il vous fera plaisir ; s’il est mauvais, il ne fera point de mal. Point de livre plus innocent qu’un mauvais livre. Je m’amuse à écrire sous des noms empruntés les sottises que vous faites ; vos sottises me font rire ; mon écrit vous donne de l’humeur. Lecteur, à vous parler franchement, je trouve que le plus méchant de nous deux, ce n’est pas moi. Que je serais satisfait s’il m’était aussi facile de me garantir de vos noirceurs, qu’à vous de l’ennui ou du danger de mon ouvrage ! Vilains hypocrites, laissez-moi en repos. F..tez comme des ânes débâtés ; mais permettez-moi que je dise f..tre ; je vous passe l’action, passez-moi le mot. Vous prononcez hardiment tuer, voler, trahir, et l’autre vous ne l’oseriez qu’entre les dents ! Est-ce que moins vous exhalez de ces prétendues impuretés en paroles, plus il vous en reste dans la pensée ? Et que vous a fait l’action génitale, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour en exclure le signe de vos entretiens, et pour imaginer que votre bouche, vos yeux et vos oreilles en seraient souillés ? Il est bon que les expressions les moins usitées, les moins écrites, les mieux tues soient les mieux sues et les plus généralement connues ; aussi cela est ; aussi le mot futuo n’est-il pas moins familier que le mot pain ; nul âge ne l’ignore, nul idiome n’en est privé :

  1. Hostius