Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/236

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marquées au coin de l’ivresse et du génie ; tout est raisonné, compassé, académique et plat. Ô dive Bacbuc ! ô gourde sacrée ! ô divinité de Jacques ! Revenez au milieu de nous !… Il me prend envie, lecteur, de vous entretenir de la naissance de la dive Bacbuc, des prodiges qui l’accompagnèrent et qui la suivirent, des merveilles de son règne et des désastres de sa retraite ; et si le mal de gorge de notre ami Jacques dure, et que son maître s’opiniâtre à garder le silence, il faudra bien que vous vous contentiez de cet épisode, que je tâcherai de pousser jusqu’à ce que Jacques guérisse et reprenne l’histoire de ses amours…


Il y a ici une lacune vraiment déplorable dans la conversation de Jacques et de son maître. Quelque jour un descendant de Nodot[1], du président de Brosses[2], de Freinshémius[3], ou du père Brottier[4], la remplira peut-être : et les descendants de Jacques ou de son maître, propriétaires du manuscrit, en riront beaucoup.

Il paraît que Jacques, réduit au silence par son mal de gorge, suspendit l’histoire de ses amours ; et que son maître commença l’histoire des siennes. Ce n’est ici qu’une conjecture que je donne pour ce qu’elle vaut. Après quelques lignes ponctuées qui annoncent la lacune, on lit : « Rien n’est plus triste dans ce monde que d’être un sot… » Est-ce Jacques qui profère cet apophtegme ? Est-ce son maître ? Ce serait le sujet d’une longue et épineuse dissertation. Si Jacques était assez insolent pour adresser ces mots à son maître, celui-ci était assez franc pour se les adresser à lui-même. Quoi qu’il en soit, il est évident, il est très évident que c’est le maître qui continue.

Le maître.

C’était la veille de sa fête, et je n’avais point d’argent. Le chevalier de Saint-Ouin, mon intime ami, n’était jamais embarrassé de rien. « Tu n’as point d’argent ? me dit-il.

— Non.

  1. Qui découvrit de prétendus fragments de Pétrone.
  2. Qui essaya de restituer le texte de Salluste.
  3. Qui a ajouté des suppléments à Quinte-Curce
  4. Traducteur de Tacite et auteur de Mémoires sur plusieurs points peu connus de l’histoire des mœurs romaines.