Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/241

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Nous voilà bien ébahis ; voilà le chevalier, Le Brun même et Fourgeot aux genoux de Merval, et M. de Merval qui leur disait : « Messieurs, vous me connaissez tous ; j’aime à obliger et tâche de ne pas gâter les services que je rends en les faisant solliciter : mais, foi d’homme d’honneur, il n’y a pas quatre louis dans la maison… »

Moi, je ressemblais, au milieu de ces gens-là, à un patient qui a entendu sa sentence. Je disais au chevalier : « Chevalier, allons-nous-en, puisque ces messieurs ne peuvent rien… » Et le chevalier me tirant à l’écart : « Tu n’y penses pas, c’est la veille de sa fête. Je l’ai prévenue, je t’en avertis ; et elle s’attend à une galanterie de ta part. Tu la connais : ce n’est pas qu’elle soit intéressée ; mais elle est comme les autres, qui n’aiment pas à être trompées dans leur attente. Elle s’en sera déjà vantée à son père, à sa mère, à ses tantes, à ses amies ; et, après cela, n’avoir rien à leur montrer, cela est mortifiant… » Et puis le voilà revenu à Merval, et le pressant plus vivement encore. Merval, après s’être bien fait tirailler, dit : « J’ai la plus sotte âme du monde ; je ne saurais voir les gens en peine. Je rêve ; et il me vient une idée.

Le chevalier.

Et quelle idée ?

Merval.

Pourquoi ne prendriez-vous pas des marchandises ?

Le chevalier.

En avez-vous ?

Merval.

Non ; mais je connais une femme qui vous en fournira ; une brave femme, une honnête femme.

Le Brun.

Oui, mais qui nous fournira des guenilles qu’elle nous vendra au poids de l’or, et dont nous ne retirerons rien.

Merval.

Point du tout, ce seront de très belles étoffes, des bijoux en or et en argent, des soieries de toute espèce, des perles, quelques pierreries ; il y aura très peu de chose à perdre sur ces effets. C’est une bonne créature à se contenter de peu, pourvu qu’elle ait ses sûretés ; ce sont des marchandises d’affaires qui