Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/293

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Et moi, je m’arrête, parce que je vous ai dit de ces deux personnages tout ce que j’en sais. — Et les amours de Jacques ? Jacques a dit cent fois qu’il était écrit là-haut qu’il n’en finirait pas l’histoire, et je vois que Jacques avait raison. Je vois, lecteur, que cela vous fâche ; eh bien, reprenez son récit où il l’a laissé, et continuez-le à votre fantaisie, ou bien faites une visite à Mlle Agathe, sachez le nom du village où Jacques est emprisonné ; voyez Jacques, questionnez-le : il ne se fera pas tirer l’oreille pour vous satisfaire ; cela le désennuiera. D’après des mémoires que j’ai de bonnes raisons de tenir pour suspects, je pourrais peut-être suppléer ce qui manque ici ; mais à quoi bon ? on ne peut s’intéresser qu’à ce qu’on croit vrai. Cependant comme il y aurait de la témérité à prononcer sans un mûr examen sur les entretiens de Jacques le Fataliste et de son maître, ouvrage le plus important qui ait paru depuis le Pantagruel de maître François Rabelais, et la vie et les aventures du Compère Mathieu[1], je relirai ces mémoires avec toute la contention d’esprit et toute l’impartialité dont je suis capable ; et sous huitaine je vous en dirai mon jugement définitif, sauf à me rétracter lorsqu’un plus intelligent que moi me démontrera que je me suis trompé.


L’éditeur ajoute : La huitaine est passée. J’ai lu les mémoires en question ; des trois paragraphes que j’y trouve de plus que dans le manuscrit dont je suis le possesseur, le premier et le dernier me paraissent originaux et celui du milieu évidemment interpolé. Voici le premier, qui suppose une seconde lacune dans l’entretien de Jacques et de son maître.

Un jour de fête que le seigneur du château était à la chasse et que le reste de ses commensaux étaient allés à la messe de la paroisse, qui en était éloignée d’un bon quart de lieue, Jacques était levé, Denise était assise à côté de lui. Ils gardaient le silence, ils avaient l’air de se bouder, et ils

  1. Le Compère Mathieu, ou les Bigarrures de l’Esprit humain, fut longtemps attribué à Voltaire et à Diderot. Cet ouvrage est de l’abbé Dulaurens (Henri-Joseph), né à Douai le 27 mars, et suivant quelques biographes le 27 mai 1719. Vers 1761, il s’était réfugié en Hollande, faisant la route à pied. Il passa ensuite en Allemagne. Dénoncé à la chambre ecclésiastique à Mayence, il fut jugé et condamné à une prison perpétuelle par sentence du 30 août 1767, et mourut en 1797 dans une maison de détention située près de Mayence. (Br.)