Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/325

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— Il est vrai. Le tic d’Horace est de faire des vers ; le tic de Trébatius et de Burigny, de parler antiquité ; le mien, de moraliser ; et le vôtre[1]

— Je vous dispense de me le dire : je le sais.

— Je me tais donc. Je vous salue ; je salue tous nos amis de la rue Royale et de la cour de Marsan, et me recommande à votre souvenir qui m’est cher.


P.-S. Je lirais volontiers le commentaire de l’abbé Galiani[2] sur Horace, si vous l’aviez. À quelques-unes de vos heures perdues, je voudrais que vous lussiez l’ode troisième du troisième livre,

Justum et tenacem propositi virum ;


et que vous me découvrissiez ailleurs la place de la strophe :

Aurum irrepertum, et sic melius situm,


qui ne tient à rien de ce qui précède, à rien de ce qui suit, et qui gâte tout.

Quant aux deux vers de l’épître dixième du premier livre,


Imperat aut servit collecta pecunia cuique,
Tortum digna sequi potius, quam ducere funem,


voici comme je les entends.

Les confins des villes sont fréquentés par les poëtes qui y cherchent la solitude, et par les cordiers qui y trouvent un long

  1. Ce passage ne peut avoir aucun sens pour le public ; mais il était très-clair pour Diderot et pour moi, et cela suffisait dans une lettre qui pouvait être interceptée et compromettre celui à qui elle était écrite. Comme il n’y a plus aujourd’hui aucun danger à donner le mot de cette énigme, qui peut d’ailleurs exciter la curiosité de quelques lecteurs, je dirai donc que Diderot, souvent témoin de la colère et de l’indignation avec lesquelles je parlais des maux sans nombre que les prêtres, les religions et les dieux de toutes les nations avaient faits à l’espèce humaine, et des crimes de toute espèce dont ils avaient été le prétexte et la cause, disait des vœux ardents que je formais pectore ab imo, pour l’entière destruction des idées religieuses, quel qu’en fût l’objet, que c’était mon tic, comme celui de Voltaire était d’écraser l’infâme. Il savait de plus que j’étais alors occupé d’un Dialogue entre un déiste, un sceptique et un athée ; et c’est à ce travail, dont mes principes philosophiques lui faisaient pressentir le résultat, qu’il fait ici allusion, mais en termes si obscurs et si généraux, qu’un autre que moi n’y pouvait rien comprendre ; et c’est précisément ce qu’il voulait. (N.)
  2. Alors manuscrit.