Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/99

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vulgairement dans un cul-de-sac, d’où je ne sais comment sortir, et que je me jette dans un conte fait à plaisir, pour gagner du temps et chercher quelque moyen de sortir de celui que j’ai commencé. Eh bien, lecteur, vous vous abusez de tout point. Je sais comment Jacques sera tiré de sa détresse, et ce que je vais vous dire de Gousse, l’homme à une seule chemise à la fois, parce qu’il n’avait qu’un corps à la fois, n’est point du tout un conte.

C’était un jour de Pentecôte, le matin, que je reçus un billet de Gousse, par lequel il me suppliait de le visiter dans une prison où il était confiné. En m’habillant, je rêvais à son aventure ; et je pensais que son tailleur, son boulanger, son marchand de vin ou son hôte, avaient obtenu et mis à exécution contre lui une prise de corps. J’arrive, et je le trouve faisant chambrée commune avec d’autres personnages d’une figure omineuse. Je lui demandai ce que c’étaient que ces gens-là.

« Le vieux que vous voyez avec ses lunettes sur le nez est un homme adroit qui sait supérieurement le calcul et qui cherche à faire cadrer les registres qu’il copie avec ses comptes. Cela est difficile, nous en avons causé, mais je ne doute point qu’il n’y réussisse.

— Et cet autre ?

— C’est un sot.

— Mais encore ?

— Un sot, qui avait inventé une machine à contrefaire les billets publics, mauvaise machine, machine vicieuse qui pèche par vingt endroits.

— Et ce troisième, qui est vêtu d’une livrée et qui joue de la basse ?

— Il n’est ici qu’en attendant ; ce soir peut-être ou demain matin, car son affaire n’est rien, il sera transféré à Bicêtre.

— Et vous ?

— Moi ? mon affaire est moindre encore. »

Après cette réponse, il se lève, pose son bonnet sur le lit, et à l’instant ses trois camarades de prison disparaissent. Quand j’entrai, j’avais trouvé Gousse en robe de chambre, assis à une petite table, traçant des figures de géométrie et travaillant aussi tranquillement que s’il eût été chez lui. Nous voilà seuls. « Et vous, que faites-vous ici ?

— Moi, je travaille, comme vous voyez.