Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/40

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Dorval : Que puis-je faire pour vous ? Clairville : Vous savez si j'aime Rosalie ! Mais non, vous n'en savez rien. Devant les autres, l'amour est ma première vertu ; j'en rougis presque devant vous. Eh bien ! Dorval, je rougirai, s'il le faut, mais je l'adore Que ne puis-je vous dire tout ce que j'ai souffert ! Avec quel ménagement.. quelle délicatesse j'ai imposé silence à la passion la plus forte ! Rosalie vivait retirée près d'ici avec une tante. C'était une Américaine fort âgée, une amie de Constance. Je voyais Rosalie tous les jours et tous les jours je voyais augmenter ses charmes ; je sentais augmenter mon trouble. Sa tante meurt. Dans ses derniers moments, elle appelle ma sœur, lui tend une main défaillante, et lui montrant Rosalie qui se désolait au bord de son lit, elle la regardait sans parler; ensuite elle regardait Constance; des larmes tombaient de ses yeux; elle soupirait ; et ma sœur entendait tout cela. Rosalie devint sa compagne, sa pupille, son élève ; moi, je fus le plus heureux des hommes. Constance voyait ma passion : Ro- salie en paraissait touchée. Mon bonheur n'était plus traversé que par la volonté d'une mère inquiète qui redemandait sa fille. Je me préparais à passer dans les climats éloignés et Rosalie a pris naissance : mais sa mère meurt ; et son père, malgré sa vieillesse, prend le parti de revenir parmi nous.

Je l'attendais, ce père, pour achever mon bonheur, il arrive et il me trouvera désolé.

Dorval : Je ne vois pas encore les raisons que vous avez de l'être.

Clairville : Je vous l'ai dit d'abord. Rosalie ne m'aime plus. A mesure que les obstacles qui s'opposaient à mon bonheur ont disparu, elle est devenue réservée froide, indifférente. Ces sentiments tendres , qui sortaient de sa bouche avec une naïveté qui me ravissait ont fait place à une politesse qui me tue. Tout lui est insipide. Rien ne l'occupe. Rien ne l'amuse. M'aperçoit-elle : son premier mouvement est de s'éloigner. Son père arrive ; et l'on dirait qu'un événement si désiré, si longtemps attendu