Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/77

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Trop tard pour mon malheur. Il a effarouché une âme simple , qui aurait été heureuse de les moindres faveurs. Il l'a remplie de craintes de terreurs, d'une horreur secrète. Dorval oserait se charger du bonheur d'une femme! Il serait père! Il aurait des enfants! Des enfants! Quand je pense que nous sommes jetés tout en naissant, dans un chaos de préjugés, d'extravagances , de vices et de misère, l'idée m'en fait frémir.

Constance : Vous êtes obsédé de fantômes, et je n'en suis pas étonnée. L'histoire de la vie est peu connue; celle de la mort est si obscure et l'apparence du mal dans l'univers est claire!. Dorval, vos enfants ne sont point désignés à tomber dans le chaos que vous redoutez. Ils passeront sous vos yeux les premières années de leur vie, et c'en est assez pour vous répondre de celles qui suivront. Ils apprendront de vous à penser comme vous. Vos passions, vos goûts, vos idées passeront en eux. Ils tiendront de vous ces notions si justes, que vous avez, de la grandeur et de la bassesse réelles ; du bonheur véritable et de la misère apparente. Il ne dépendra que de vous qu'ils aient une conscience toute semblable à la vôtre. Ils vous verront agir. Ils m'entendront parler quelquefois. (En souriant avec dignité, elle ajoute) Dorval, vos filles seront honnêtes et décentes. Vos fils seront nobles et fiers. Tous vos enfants seront charmants.

Dorval : Prend la main de Constance , la prend entre les deux siennes lui sourit d'un air touché et lui dit Si par malheur Constance se trompait. Si j'avais des enfants, comme j'en vois tant d'autres malheureux et méchants. je me connais. J'en mourrais de douleur.

Constance D'un ton pathétique et d'un air pénétré :

Mais auriez-vous cette crainte si vous pensiez que l'effet de la vertu sur notre âme n'est ni moins nécessaire, ni moins puissant que celui de la beauté sur nos sens. Qu'il est dans dans le cœur de l'homme un goût d'ordre, plus ancien qu'aucun ressentiment réfléchi; que c'est ce goût qui nous rend sensible à la honte; la honte qui nous fait redouter le mépris au-delà même du trépas; que l'imitation nous est naturelle, et qu'il n'y a point