Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/208

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Monsieur Hardouin.

Cela ferait sauter aux nues. Ils font une sottise, et pour la réparer ils en disent une autre. C’est qu’il faudrait toujours écrire… Mais voilà ma veuve ; elle arrive un peu plus tôt que je ne la désirais.



Scène VI.


MONSIEUR HARDOUIN, MADAME BERTRAND.
Madame Bertrand.

Vous allez dire, monsieur, que ceux qui n’ont qu’une affaire sont bien incommodes ; mais si je vous importune, ne vous gênez point du tout, je reviendrai dans un autre moment.

Monsieur Hardouin.

Non, madame, les malheureux et les femmes aimables ne viennent jamais à contre-temps chez celui qui est bienfaisant et qui a du goût.

Madame Bertrand.

Pour les femmes aimables, cela peut être vrai ; quant aux malheureux, il m’est impossible d’être de votre avis. Si vous saviez combien de fois j’ai lu sur les visages, malgré le masque officieux dont ils se couvraient : « Toujours cette veuve ! que vient-elle faire ici ? J’en suis excédé ; elle s’imagine qu’on n’a dans la tête qu’une chose, et que c’est la sienne. » À peine m’offrait-on une chaise. On s’élançait au-devant de moi, non par politesse, mais pour ne me pas laisser le temps d’avancer. On m’arrêtait à la porte, et là on me disait entre les deux battants : « J’ai pensé à votre affaire, je ne la perds pas de vue ; comptez sur ce qui dépendra de moi… — Mais, monsieur… — Madame, je suis désolé de ne pouvoir vous retenir plus longtemps ; je suis accablé. » Je faisais ma révérence, on me la rendait, et j’ai quelquefois entendu le maître dire à ses domestiques : « J’avais consigné cette femme, pourquoi l’a-t-on laissée passer ? Si elle reparaît, je n’y suis pas, je n’y suis pas. »

Monsieur Hardouin.

Vous me parlez là de gens sans âme et sans yeux.