Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Madame de Vertillac.

Je ne connais pas encore son style ; cela doit être bien emporté, bien tendre. Est-ce que vous me refuseriez la lecture de ces lettres ?

Monsieur Hardouin.

Non, si je pouvais attendre de votre part un peu de modération et d’impartialité. Là, mon amie, quand vous jetteriez les hauts cris, ce qui serait fait n’en serait pas moins fait, et toutes vos fureurs ne répareraient rien.

Madame de Vertillac.

Que voulez-vous dire ? Les lettres ! les lettres, il faut que je les voie sans délai.

Monsieur Hardouin.

Je ne me suis proposé ni de vous offenser, ni d’excuser votre fille, mais si j’osais vous rappeler au temps de votre mariage, vous concevriez qu’avec un esprit droit, une âme honnête et la meilleure éducation, l’opiniâtreté déplacée des parents, leurs persécutions, leurs délais peuvent amener un accident.

Madame de Vertillac.

Ciel ! qu’ai-je entendu ? Les lettres ! pour Dieu, mon cher ami, les lettres !

Monsieur Hardouin.

Les voilà, mais je ne vous les confierai que sur votre parole d’honneur de ne parler de rien à de Crancey, ni à votre fille, de vous conduire avec elle comme une mère indulgente et bonne, comme la vôtre se conduisit avec vous, de consulter avec moi sur le meilleur et le plus prompt expédient de tout réparer, et de n’éclater, s’il faut que vous éclatiez, que lorsque nous serons sortis d’embarras. Votre parole d’honneur.

Madame de Vertillac.

Je la donne : je me tairai ; et que lui dirais-je à elle ? J’ai perdu le droit de me plaindre. Ah ! ma pauvre mère, combien elle a dû souffrir ! C’est à présent que je l’éprouve. (Madame de Vertillac lit les lettres, elles lui tombent des mains. Elle se renverse dans un fauteuil, elle pleure, elle se désole. Elle dit :)

Qui l’aurait imaginé d’une enfant aussi timide, aussi innocente ?

Monsieur Hardouin.

Vous l’étiez autant qu’elle.