Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/391

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à le savoir ? — Il n’en sera ni plus ni moins, et nous aurons par devers nous une soirée douce. — Qui aurons-nous ? — Qui vous voudrez. — Mais d’abord le chevalier, qui est de fondation. — À propos du chevalier, savez-vous qu’il ne tiendrait qu’à moi d’en être jaloux ? — Et qu’à moi que vous eussiez raison ? »

C’est ainsi que ces êtres si sensibles vous paraissaient tout entiers à la scène haute que vous entendiez, tandis qu’ils n’étaient vraiment qu’à la scène basse que vous n’entendiez pas ; et vous vous écriiez : « Il faut avouer que cette femme est une actrice charmante ; que personne ne sait écouter comme elle, et qu’elle joue avec une intelligence, une grâce, un intérêt, une finesse, une sensibilité peu commune… » Et moi, je riais de vos exclamations.

Cependant cette actrice trompe son mari avec un autre acteur, cet acteur avec le chevalier, et le chevalier avec un troisième, que le chevalier surprend entre ses bras. Celui-ci a médité une grande vengeance. Il se placera aux balcons, sur les gradins les plus bas. (Alors le comte de Lauraguais n’en avait pas encore débarrassé notre scène.) Là, il s’est promis de déconcerter l’infidèle par sa présence et par ses regards méprisants, de la troubler et de l’exposer aux huées du parterre. La pièce commence ; sa traîtresse paraît ; elle aperçoit le chevalier ; et, sans s’ébranler dans son jeu, elle lui dit en souriant : « Fi ! le vilain boudeur qui se fâche pour rien. » Le chevalier sourit à son tour. Elle continue : « Vous venez ce soir ? » Il se tait. Elle ajoute : « Finissons cette plate querelle, et faites avancer votre carrosse… » Et savez-vous dans quelle scène on intercalait celle-ci ? Dans une des plus touchantes de La Chaussée, où cette comédienne sanglotait et nous faisait pleurer à chaudes larmes. Cela vous confond ; et c’est pourtant l’exacte vérité.


LE SECOND

C’est à me dégoûter du théâtre.

LE PREMIER

Et pourquoi ? Si ces gens-là n’étaient pas capables de ces tours de force, c’est alors qu’il n’y faudrait pas aller. Ce que je vais vous raconter, je l’ai vu.

Garrick passe sa tête entre les deux battants d’une porte,