Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/221

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Que les bras de cette figure, d’ailleurs charmante, sont raides, secs, mal peints et sans détails… Oh ! pour cela, rien n’est plus vrai.

Que le traversin est tout neuf, et qu’il serait plus naturel qu’il eût déjà servi… Cela se peut.

Que cet artiste est sans fécondité, et que toutes les têtes de cette scène sont les mêmes que celles de son tableau des Fiançailles, et celles de ses Fiançailles les mêmes que celles de son Paysan qui fait la lecture à ses enfants… D’accord ; mais si le peintre l’a voulu ainsi ? s’il a suivi l’histoire de la même famille ?

Que… Et que mille diables emportent les critiques et moi tout le premier ! Ce tableau est beau et très-beau, et malheur à celui qui peut le considérer un moment de sang-froid ! Le caractère du vieillard est unique ; le caractère du gendre est unique ; l’enfant qui apporte à boire, unique ; la vieille femme, unique. De quelque côté qu’on porte ses yeux, on est enchanté. Le fond, les couvertures, les vêtements sont du plus grand fini. Et puis cet homme dessine comme un ange. Sa couleur est belle et forte, quoique ce ne soit pas encore celle de Chardin pourtant. Encore une fois, ce tableau est beau, ou il n’y en eut jamais. Aussi appelle-t-il les spectateurs en foule ; on ne peut en approcher. On le voit avec transport, et quand on le revoit, on trouve qu’on avait eu raison d’en être transporté.

Il serait bien surprenant que cet artiste n’excellât pas. Il a de l’esprit et de la sensibilité ; il est enthousiaste de son art ; il fait des études sans fin ; il n’épargne ni soins ni dépenses pour avoir les modèles qui lui conviennent. Rencontre-t-il une tête qui le frappe, il se mettrait volontiers aux genoux du porteur de cette tête pour l’attirer dans son atelier. Il est sans cesse observateur dans les rues, dans les églises, dans les marchés, dans les spectacles, dans les promenades, dans les assemblées publiques. Médite-t-il un sujet : il en est obsédé, suivi partout. Son caractère même s’en ressent ; il prend celui de son tableau : il est brusque, doux, insinuant, caustique, galant, triste, gai, froid, chaud, sérieux ou fou, selon la chose qu’il projette.

Outre le génie de son art qu’on ne lui refusera pas, on voit encore qu’il est spirituel dans le choix et la convenance des accessoires. Dans le tableau du Paysan qui lit l’Écriture sainte