Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/457

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chose ait son travail propre ; que la figure, le paysage, l’eau, les draperies, les métaux en soient caractérisés. Produisez le plus d’effet avec le moins de copeaux.

Un mot encore, mon ami, de la gravure noire et de la gravure au crayon, et je vous laisse.

La gravure noire[1] consiste à couvrir toute une surface de petits points noirs qu’on adoucit, affaiblit, amatit, efface. De là les ombres, les reflets, les teintes, les demi-teintes, le jour et la nuit. Dans la taille-douce, tout est éclairé, le travail introduit l’ombre et la nuit. Dans la gravure noire, la nuit est profonde. Le travail fait poindre le jour dans cette nuit.

La gravure au crayon est l’art d’imiter les dessins au crayon. Belle invention, qui a sur tous les genres de gravure l’avantage de fournir des exemples à copier aux élèves. Celui qui dessine d’après la taille-douce, se fait une manière dure, sèche et arrangée.

Le procédé de la gravure au crayon diffère peu de celui de la manière noire. Ce sont des points variés, sans ordre, qu’on laisse séparés, ou qu’on unit en les écrasant ; travail qui imite la neige, et donne à l’estampe l’air d’un papier sur les petites éminences duquel le crayon a déposé ses molécules. C’est un nommé François qui l’a inventée ; celui qui l’a perfectionnée s’appelle Demarteau[2].

La gravure conserve et multiplie les tableaux ; la gravure au crayon multiplie et transmet les dessins.

Je ne dirai de la gravure en médaille qu’une chose, c’est que la gloire des souverains est intéressée à l’encourager. Les beaux médaillons, les belles monnaies seront un lustre de plus à leurs règnes. Plus ils auront exécuté de grandes choses, plus ils ont

  1. Les Anglais sont nos maîtres dans la gravure en noir ; il se fait à Londres de très-beaux ouvrages en ce genre. À Paris, on ne grave point du tout en manière noire (1766). Nos artistes n’en font pas même de cas ; ils prétendent qu’elle manque de vigueur et de force. Je crois qu’ils poussent leur aversion trop loin, et qu’il est des sujets tendres et doux auxquels cette gravure convient merveilleusement. (D.)
  2. Ces deux graveurs se sont disputé l’honneur de cette invention, qui leur appartient peut-être à tous deux. Au reste, voilà une véritable invention, que nous avons vue se faire sous nos yeux, sans que personne ait presque daigné en parler, tandis que la peinture encaustique, qui n’a pas fait faire un tableau médiocre, s’est fait prôner deux ou trois ans de suite. Cette manière d’imiter les dessins au crayon par la gravure influera sensiblement sur les progrès de l’art en Europe, et sera d’une utilité infinie. Elle mérite de faire époque dans l’histoire de l’art. (D.)