Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIII.djvu/55

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rival et son admirateur. Je lui ai entendu dire qu’il n’était jamais entré dans l’atelier de Bouchardon, sans être découragé pour des semaines entières. Ce Pigalle pourtant a fait un certain Mercure que vous connaissez, et qui n’est pas l’ouvrage d’un homme facile à décourager. Il exécutera les quatre figures qui doivent entourer le piédestal de la statue du roi, et qui représenteront quatre Vertus principales. Bouchardon lui a laissé pour cela toutes les études qu’il a faites sur ce sujet pendant les dernières années de sa vie. Rien n’est plus satisfaisant que de voir deux grands artistes s’honorer d’une estime mutuelle[1].

Je n’entrerai point dans l’examen des différentes productions de Bouchardon, parce que je ne les connais pas, et que le comte de Caylus qui les a toutes vues, n’en dit rien qui vaille. Un mot seulement sur son Amour qui se fait un arc de la massue d’Hercule. Il me semble qu’il faut bien du temps à un enfant pour mettre en arc l’énorme solive qui armait la main d’Hercule. Cette idée choque mon imagination. Je n’aime pas l’Amour si longtemps à ce travail manuel ; et puis, je suis un peu de l’avis de notre ingénieur, M. Le Romain, sur ces longues ailes avec lesquelles on ne saurait voler quand elles auraient encore dix pieds d’envergure.

Je crois qu’un Ancien, au lieu de s’occuper de cette idée ingénieuse, aurait cherché à me montrer le tyran du ciel et de la terre, tranquille, aimable et terrible. Ces Anciens, quand une fois on les a bien connus, deviennent de redoutables juges des modernes. Quoi qu’il m’en puisse arriver et aux autres, je vous conseille, mon ami, d’éloigner un peu toutes ces Vierges de Raphaël et du Guide, qui vous entourent dans votre cabinet. Que j’aimerais à y voir d’un côté l’Hercule Farnèse entre la Vénus de Médicis et l’Apollon Pythien ; d’un autre le Torse entre le Gladiateur et l’Antinoüs ; ici, le Faune qui a trouvé un enfant et qui le regarde ; vis-à-vis, le Laocoon tout seul ; ce Laocoon dont Pline a dit avec juste raison : Opus omnibus et picturœ et sialuariœ artis prœferendum. Voilà les apôtres du bon goût chez toutes les nations ; voilà les maîtres des Girardon, des Coysevox, des Coustou, des Puget, des Bouchardon ;

  1. L’article est coupé en deux dans la Correspondance littéraire, et on lit après ce paragraphe : « Le reste pour l’ordinaire prochain. »