Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/141

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crit à lui faire copier. Je l’envoie ; on lui confie le manuscrit : c’était un ouvrage sur la religion et sur le gouvernement. Je ne sais comment cela s’est fait, mais le manuscrit est maintenant entre les mains du lieutenant de police. Damilaville m’en donne avis ; je vais chez mon Glénat le prévenir qu’il ne compte plus sur moi. « Et pourquoi, monsieur, ne plus compter sur vous ? Je n’ai rien à me reprocher ; mais après tout, si je suis privé de vos bontés, d’autres me rendent plus de justice. — C’est parce que vous êtes noté. — Que voulez-vous dire, monsieur ? — Que la police a les yeux ouverts sur vous, et qu’il n’y a plus moyen de vous employer. Je ne vous ai jamais rien fait copier de répréhensible ; il n’y avait pas d’apparence que cela pût m’arriver ; mais on saisira chez vous indistinctement un ouvrage innocent et un ouvrage dangereux, et il faudra après cela courir chez des exempts, un lieutenant de police, je ne sais où, pour les ravoir. On ne s’expose point à ces déplaisances-là. — Oh ! monsieur, on n’y est point exposé quand on ne me confie rien de répréhensible. La police n’entre chez moi que quand il y a des choses qui sont de son gibier. Je ne sais comment elle fait, mais elle ne s’y trompe jamais. — Moi, je le sais, et vous m’en apprenez là bien plus que je n’aurais espéré d’en savoir de vous. » Là-dessus je tourne le dos à mon vilain.

J’avais une occasion d’aller voir le lieutenant de police, et j’y vais ; il me reçoit à merveille. Nous parlons de différentes choses. Je lui parle de celle-ci. « Eh ! oui, me dit-il, je sais, le manuscrit est là, c’est un livre fort dangereux. — Cela se peut, monsieur, mais celui qui vous l’a remis est un coquin. — Non, c’est un bon garçon qui n’a pu faire autrement. — Encore une fois, monsieur, je ne sais ce que c’est que l’ouvrage ; je ne connais point celui qui l’a confié à Glénat. C’est une pratique que je lui faisais avoir de ricochet ; mais si l’ouvrage ne lui convenait pas, il fallait le refuser, et ne pas s’abaisser au métier vil et méprisable de délateur. Vous avez besoin de ces gens-là. Vous les employez, vous récompensez leur service, mais il est impossible qu’ils ne soient pas comme de la boue à vos yeux. »

M. de Sartine se mit à rire, nous rompîmes là-dessus, et je m’en revins pensant en moi-même que c’était une chose bien odieuse que d’abuser de la bienfaisance d’un homme pour introduire un espion dans ses foyers. Imaginez qu’il y a quatre ans