Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/163

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du cou, ce qui n’était pas propre à sauver sa mauvaise mine. Il était pour une somme considérable dans un état de créances que ce procureur ne se pressait pas d’acquitter. Il entre dans l’étude sans façon, il s’adresse au procureur honnêtement, parce que le président de Meinières est l’homme de France le plus doux et le plus honnête, qu’il en a la réputation, et que c’est ainsi que je l’ai vu chez lui et chez moi. « Monsieur, il y a longtemps que j’attends, pourriez-vous me dire quand je serai payé ? — Je n’en sais rien. » Le président était debout, le procureur assis ; le président chapeau bas, le procureur la tête couverte de son bonnet ; le président parlait, le procureur écrivait. « Monsieur, c’est que je suis pressé. — Ce n’est pas ma faute. — Cela se peut. Cependant voilà mes titres ; je les ai apportés, et vous m’obligerez de les regarder. — Je n’ai pas le temps. — Monsieur, de grâce, faites-moi ce plaisir. — Je ne saurais, vous dis-je. — Monsieur… — Vous m’interrompez. Est-ce que vous croyez, mon ami, que je n’ai que votre affaire en tête ? Vous serez payé avec les autres. Allez-vous-en, et ne m’ennuyez pas davantage. — Monsieur, je suis fâché de vous ennuyer, mais vous n’êtes pas le premier. — Tant pis, il ne faut ennuyer personne. — Il est vrai, mais il ne faut brusquer personne. — Cela fait le plaisant ! — Le plus plaisant des deux, je vous jure, monsieur, que ce n’est pas moi ; on me doit, j’ai besoin, je voudrais toucher mon argent. Je ne vous demande que de jeter un coup d’œil sur mes titres. — Voyons donc, voyons ces titres ; si on avait affaire à deux hommes comme vous par jour, il faudrait renoncer au métier. » Le président déploie ses titres, et le procureur lit : Monsieur le président de Meinières, etc. ; et aussitôt le voilà qui se lève : « Monsieur le président, je vous demande mille pardons… ; je n’avais pas l’honneur de vous connaître… ; sans cela… » Le président le prend par la main, l’éloigné de son fauteuil, s’y place, et lui dit : « Maître un tel, vous êtes un insolent ; il ne s’agit pas de moi, je vous pardonne ; mais je viens de voir la manière indigne et cruelle dont vous en usez avec les malheureux qui ont affaire à vous. Prenez garde à ce que vous ferez à l’avenir ; s’il me revient jamais une plainte sur votre compte, je vous fais perdre un état que vous remplissez si mal. Adieu. » Eh bien, qu’en pensez-vous ? Tandis que M. Colin de Saint-Marc me traitait