Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’Alembert est à toute extrémité ; il a fait une indigestion terrible ; il a envoyé chercher Bouvard qui l’a fait saigner. J’apprends qu’il est tourmenté par une colique qui ne le quitte point, et qui menace à chaque instant de l’emporter. S’il en meurt, nous aurons perdu en trois mois de temps deux grands peintres et deux grands géomètres. Les hommes de cette trempe sont rares ; une nation en est bientôt appauvrie.

Je vous écris ce soir parce que nos presses travailleront demain, en dépit des apôtres dont c’est la fête, et que ma tâche sera double. Il serait bien malheureux d’essuyer quelque contretemps à la dernière page.

On parle du déplacement de M. de Saint-Florentin. On lui donne pour successeur M. de Sartine à qui M. Le Noir succédera. Qui sait comment ce M. Le Noir en userait avec nous ? Il n’y a peut-être pas un mot de réel à ces prétendus changements. À tout hasard, nous nous hâtons d’esquiver aux embarras qu’ils pourraient nous causer.

Adieu, mon amie ; continuez de vous bien porter ; je sais que vous m’aimez de toute votre âme ; vous êtes bien sûre que je ne demeure pas en reste avec vous. C’est la seule de mes dettes que je paye bien.

Vous espérez donc que nous ne serons pas une éternité sans nous revoir ! Cela dépendra beaucoup de M. Le Gendre.

Nous l’attendons sans impatience ; la cérémonie de l’inauguration est fixée au 19 du mois prochain ; c’est vous promettre la chère sœur pour le 9 ou le 10. Je vais donc rester seul ! Avec qui m’entretiendrai-je de vous ? à qui porterai-je cette âme toute remplie de tendresse ? où irai-je verser mes sentiments ? Je n’entendrai donc plus prononcer ce nom qui m’est cher, que quand il m’échappera dans ma peine ! Adieu, mon amie, bonsoir : la lumière et le papier me manquent en même temps. Mon respect, mon tendre et sincère respect à madame votre mère. Embrassez pour moi madame votre sœur ; dites à Mlle Mélanie qu’elle aurait bien tort de m’oublier. M. Gaschon a reçu un coup de bistouri entre les fesses, et l’on dit qu’il est mieux.