Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/231

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caveau. Une figure effrayante s’élève de ce caveau ; en s’élevant, elle soulève de l’épaule la pierre qui le couvre. Cette figure, c’est la Maladie : c’est celle dont le Dauphin est mort. Elle appelle ; elle fait le signe impérieux de descendre. Le Dauphin, debout sur le bord du caveau entr’ouvert, ne la regarde ni ne l’écoute : il est tranquille ; il a le visage tourné vers son épouse ; il la console en lui montrant ses enfants. La Dauphine a un de ses bras entrelacé avec celui de son époux. Elle se couvre les yeux de son autre main ; elle semble craindre de laisser tomber ses regards sur des objets qui peuvent l’attacher à la vie. Les enfants lui sont présentés par la Sagesse. Elle en a deux devant elle : ce sont les plus jeunes. L’aîné est par derrière, ses deux bras appuyés sur l’épaule de la Sagesse, et la tête penchée sur ses deux bras. Tout près de cet enfant, on voit la France prosternée vers les autels, et implorant le secours du ciel.

Choisissez, mesdames. Si aucun des trois ne vous convenait, proposez-moi vos difficultés. Faites mieux ; s’il vous venait quelque nouvelle idée, dites-la-moi. J’en rumine une quatrième, où je voudrais que l’époux dît aux hommes : Apprenez à mourir ; et où l’épouse dît aux femmes : Apprenez à aimer. S’il vous venait quelques moyens de rendre ces deux mots sensibles, vous me feriez vraiment plaisir de me les communiquer, car la chose me paraît vraiment difficile.

Beau passe-temps, me direz-vous, que de promener son imagination parmi des tombeaux ! Pardon, mesdames ; mais aussi pourquoi êtes-vous des femmes fortes ? je vous jure que je n’en connais pas deux autres au monde à qui j’eusse osé demander le même service ; quoique ce genre de poésie auquel j’ai donné quelques instants ne m’ait point du tout attristé. À tout hasard, s’il m’est arrivé de jeter du noir dans vos têtes, l’abbé de Boufflers va m’aider à le dissiper. Voici des bouts-rimés qu’il a remplis :


Enfants de saint Benoît, sous la guimpe et le froc.
Du calice chrétien savourez l’amertume.
Vous, musulmans, suivez votre triste coutume :
Buvez de l’eau, tandis que je vide mon broc.
Par vos raisonnements, moins ébranlé qu’un roc,
Je crains peu cette mer de soufre et de bitume