Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/248

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plus honnêtes, les plus douces et les plus consolantes ; versa un peu de baume sur mes blessures, et me ramena à ces amis que j’avais abjurés, résolu à dîner avec eux, car je voulais m’en aller, et un peu apaisé. Ce qui m’avait ulcéré, c’est un mot de Grimm qui me dit que, puisqu’il ne pouvait plus m’écrire sans me dire la vérité, et que la vérité me faisait tant de mal, il ne m’écrirait plus. « Voilà, disais-je au marquis, ces hommes qui se piquent de délicatesse ; ils me désespèrent, et, quand je me plains des peines qu’ils me causent, ils y mettent le comble en me disant froidement qu’ils ne m’en donneront plus. » Cependant le dîner fut fort bien ; on s’entretint de la petitesse de ceux qui refusent des secours par vanité..... On se sépara de bonne heure..... et nous nous embrassâmes tous fort tendrement.

Damilaville voulait m’entraîner chez Mme de Meaux, qui est malade et qui rend le sang par les pieds. J’aimai mieux m’en aller rue Sainte-Anne, et j’y allai. J’y restai peu de temps. Mme Le Gendre se proposait d’aller reprendre Mme de Blacy chez M. de Tressan, et elle me demandait si je pourrais lui donner des chevaux. J’allai le soir souper avec le prince ; je lui en demandai, ce qu’il m’accorda. Nous passâmes la soirée, le prince et moi, à disputer sur un principe de peinture : c’est qu’il y avait dans la nature beaucoup de masses et peu de groupes. Vous n’entendez rien à cela ; mais il vous suffira de savoir qu’en ayant appelé tous deux aux compositions des grands maîtres, je lui montrai que, dans les compositions du Poussin, où l’on comptait jusqu’à cent, cent vingt figures, il y avait dix, douze, quinze, vingt masses, et à peine deux ou trois groupes ; et spécialement dans le Jugement de Salomon, vingt à trente figures, et pas un groupe.

Le reste de la soirée se passa à causer de mariages disproportionnés faits sans le consentement des parents ; il me dit à ce sujet quelques mots de M. de Parceval, que vous ne savez peut-être pas et qui vous feront plaisir. Son fils se maria sans son aveu. Le lendemain du mariage, sa bru vint chez lui. Il n’était pas encore levé. Elle se mit à genoux près de son lit, et lui prit une main qu’elle mouillait de ses larmes. M. de Parceval lui dit : « Est-ce que mon fils n’a pas craint d’être déshérité ? » Sa bru lui répondit : « Il vous connaît trop pour avoir cette crainte. » Après un moment de silence, M. de Parceval