Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/277

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établir une suppuration intérieure qui sera suivie d’une fièvre lente et de la mort. Ceux-ci ordonnent la douche et les eaux de Bourbonne ; celui-là crie qu’il ne soutiendra pas la fatigue du voyage, et que les eaux lui seront au moins inutiles. C’est aussi l’avis de Mme de Meaux et du malade.

Je conçois bien qu’il reste de la passion au malade ; mais croyez-vous qu’il y ait dans la femme quelque chose de plus que de l’honnêteté ? Elle ne conseillera jamais à Damilaville d’aller s’établira Châlons ; mais, s’il y allait de lui-même, en serait-elle sincèrement aussi fâchée qu’elle se croit obligée de le paraître ? Demain j’irai voir Tronchin.

J’ai vu avant-hier Mlle Artaud. Mme Duclos ne sera pas votre voisine. Mlle Artaud me fit asseoir dans sa cellule ; j’y causai une heure ou deux ; et vous savez bien, mesdames, qu’il ne faut pas tant de temps pour dire bien des folies. J’en dis donc, et on les écouta en souriant et en baissant les yeux.

Hier matin, je conduisis mes deux Anglais chez Mlle Bayon, que j’avais prévenue. Elle joua comme un ange ; son âme était tout entière au bout de ses doigts. Mes bons Anglais croyaient qu’elle faisait tout cela pour eux : oh ! que non ! c’était pour leur ami Bach, à qui ils ne manqueront pas d’en parler avec enthousiasme ; commission qu’elle leur donnait sans qu’ils s’en aperçussent, et peut-être sans s’en apercevoir elle-même.

J’ai reçu trois lettres d’Aix-la-Chapelle ; deux du prince, une de sa femme. J’ai bien peur que Mme la princesse Galitzin ne soit une mauvaise tête. Imaginez que sa lettre est anonyme ; qu’elle contient la satire d’elle-même la plus sanglante, la moins ménagée et la plus indécente ; et cela avec tant de sérieux et de vérité, que, si le prince ne m’eût pas dit le mot de l’énigme, je m’y serais trompé, et j’en aurais à coup sûr conçu la plus cruelle inquiétude. Que dites-vous de cette bizarrerie ? Cette lettre est incroyable. Il faut la voir. Grimm, à qui je l’ai montrée, doute encore qu’elle soit d’elle, en dépit de l’avis du prince qui ne permet pas d’en douter. On me recommande fort de ne la communiquer à personne, parce qu’elle pourrait compromettre la réputation de la femme et du mari. Madame Galitzin ! et si, par hasard, on l’avait décachetée à la poste ? Vous penserez comme moi qu’avec un peu de sens, d’esprit et de dignité, on n’aurait point eu recours à une espièglerie aussi maussade,