Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/280

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bras et jambes, arrachez-moi les dents l’une après l’autre ; pourvu que j’existe, tout est bien.

C’est aujourd’hui lundi. Mme Duclos part jeudi. Damilaville sera vendredi ou samedi installé dans son nouvel appartement.

Cette pauvre femme s’en retourne l’âme pleine de chagrin qu’elle dévore. Elle m’a jeté à la dérobée quelques mots d’après lesquels j’ai compris que ses soins étaient payés de mauvais procédés.

On lui avait fait espérer une chambre dans le nouveau domicile ; il y a trois ou quatre jours qu’on lui a déclaré qu’il n’y fallait plus compter ; et la voilà sur le point de vendre ses petits meubles pour rien, et forcée, lorsqu’elle reviendra, de faire en règle la fonction de garde-malade, en couchant au pied d’un lit sur un matelas et des sangles. Sa rivale ne la connaît guère, elle s’y résoudra. Il est bien cruel de priver un homme des soins qu’on lui doit, et qu’on n’a nulle envie de lui rendre, et de prendre, pour y réussir, un moyen qui rendra ces soins infiniment pénibles à celle qui aura le courage de s’y livrer. C’est dire : Ou tu le laisseras périr, ou tu périras en le secourant.

Ma maison est un petit hôpital en règle ; ma femme a les pieds tiraillés de son humeur goutteuse ; ma petite a le visage et les yeux bouffis d’un rhume conditionné comme pour Mlle ***. Une nouvelle servante est tombée malade tout en s’installant ; Mme Diderot en a le plus grand soin : elle la regarde comme un pauvre que la Providence lui a adressé. C’est ma phrase qu’elle a tout de suite adoptée.

Je viens de dîner chez le baron de Gleichen, qui attend demain ou après l’arrivée de son roi. Une petite femme, que je vous nommerais bien, lui dit étourdiment : « Monsieur le baron, votre roi ! c’est une tête… » — Et le baron ajouta : « Couronnée, madame. »

J’étais invité à aller dîner demain mercredi, à Aubonne, chez M. de Saint-Lambert ; mais j’ai mieux aimé recevoir les adieux de Mme Duclos.

La partie devait cependant se faire avec l’abbé Personnel, Suard et le chevalier de Chastellux, que j’aurais étouffé à force de l’embrasser. Vous avez su son aventure à Calais avec un officier exclu de son régiment ; mais vous ne l’avez pas sue tout entière. Ils s’en revenaient à la ville ; le chevalier était blessé