Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous l’aurez toujours si vous vous présentez avec le maintien et le visage de votre situation. Ne vous laissez point distraire dans la coulisse. C’est là surtout qu’il faut écarter de soi et les galanteries, et les propos flatteurs, et tout ce qui tendrait à vous tirer de votre rôle. Modérez votre voix, ménagez votre sensibilité, ne vous livrez que par gradation. Il faut que le système général de la déclamation entière d’une pièce corresponde au système général du poëte qui l’a composée ; faute de cette attention, on joue bien un endroit d’une scène, on joue même bien une scène, on joue mal tout le rôle. On a de la chaleur déplacée ; on transporte le spectateur par intervalles ; dans d’autres on le laisse languissant et froid, sans qu’on puisse quelquefois en accuser l’auteur. Vous savez bien ce que j’entends par le hoquet tragique. Souvenez-vous que c’est le vice le plus insupportable et le plus commun. Examinez les hommes dans leurs plus violents accès de fureur, et vous ne leur remarquerez rien de pareil. En dépit de l’emphase poétique, rapprochez votre jeu de la nature le plus que vous pourrez ; moquez-vous de l’harmonie, de la cadence et de l’hémistiche ; ayez la prononciation claire, nette et distincte, et ne consultez sur le reste que le sentiment et le sens. Si vous avez le sentiment juste de la vraie dignité, vous ne serez jamais ni bassement familière, ni ridiculement ampoulée, surtout ayant à rendre des poëtes qui ont chacun leur caractère et leur génie. N’affectez aucune manière, la manière est détestable dans tous les arts d’imitation. Savez-vous pourquoi on n’a jamais pu faire un bon tableau d’après une scène dramatique ? c’est que l’action de l’acteur a je ne sais quoi d’apprêté et de faux. Si, quand vous êtes sur le théâtre, vous ne croyez pas être seule, tout est perdu. Mademoiselle, il n’y a rien de bien dans ce monde que ce qui est vrai ; soyez donc vraie sur la scène, vraie hors de la scène. Lorsqu’il y aura dans les villes, dans les palais, dans les maisons particulières, quelques beaux tableaux d’histoire, ne manquez pas de les aller voir. Soyez spectatrice attentive dans toutes les actions populaires ou domestiques. C’est là que vous verrez les visages, les mouvements, les actions réelles de l’amour, de la jalousie, de la colère, du désespoir. Que votre tête devienne un portefeuille de ces images, et soyez sûre que, quand vous les exposerez sur la scène, tout le monde les reconnaîtra et vous