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CORRESPONDANCE GÉNÉRALE


I

À VOLTAIRE[1].
11 juin 1749.

Le moment où j’ai reçu votre lettre, monsieur et cher maître, a été un des moments les plus doux de ma vie ; je vous suis infiniment obligé du présent que vous y avez joint. Vous ne pouviez envoyer votre ouvrage à quelqu’un qui fût plus admirateur que moi. On conserve précieusement les marques de la bienveillance des grands ; pour moi, qui ne connais guère de distinction réelle entre les hommes que celles que les qualités personnelles y mettent, je place ce témoignage de votre estime autant au-dessus des marques de la faveur des grands que les

  1. Dans la notice de la Lettre sur les Aveugles, M. Assézat ayant annoncé qu’il donnerait la lettre de Voltaire à laquelle celle-ci répond, nous la publions ici, par exception ; pour les autres lettres ou réponses de Voltaire et de Rousseau, le lecteur voudra bien se reporter aux éditions complètes de ces deux écrivains.

    « Je vous remercie, monsieur, du livre ingénieux et profond que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; je vous en présente un qui n’est ni l’un ni l’autre, mais dans lequel vous verrez l’aventure de l’aveugle-né plus détaillée dans cette nouvelle édition que dans les précédentes. Je suis entièrement de votre avis sur ce que vous dites des jugements que formeraient, en pareil cas, des hommes ordinaires qui n’auraient que du bon sens, et des philosophes. Je suis fâché que, dans les exemples que vous citez, vous ayez oublié l’aveugle-né qui, en recevant le don de la vue, voyait les hommes comme des arbres.

    « J’ai lu avec un extrême plaisir votre livre qui dit beaucoup, et qui fait entendre davantage. Il y a longtemps que je vous estime autant que je méprise les barbares stupides qui condamnent ce qu’ils n’entendent point, et les méchants qui se joignent aux imbéciles pour proscrire ce qui les éclaire.

    « Mais je vous avoue que je ne suis point du tout de l’avis de Saunderson, qui