Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/446

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devant et relevant la pierre de la main droite, aurait été tout entière à cette action ; elle n’eût ni regardé le héros, ni entendu la France : la mort est aveugle et sourde. Son moment vient, et la tombe se trouve ouverte. J’aurais laissé tomber mollement les bras du Maréchal, et il serait descendu en tournant la tête avec quelque regret sur les symboles d’une gloire qu’il laissait après lui : il en eût été plus pathétique et plus vrai ; car, quelque héros qu’on soit, on a toujours du regret à mourir. Le reste du monument serait demeuré comme il est, excepté peut-être que j’aurais couvert les os du squelette d’une peau sèche qui en aurait laissé voir les nodus, et qu’on n’en aurait aperçu que les pieds, les mains et le bas du visage. C’eût été un être vivant ; cet être en fût devenu plus terrible encore ; et l’on eût sauvé l’absurdité de faire voir, entendre et parler un fantôme qui n’a ni langue, ni yeux, ni oreilles. Voilà, monsieur, ce que j’aurais voulu ; mais j’ai pensé que quand un grand ouvrage était porté à un haut point de perfection, et que l’effet en était grand, il valait mieux se taire que de jeter de l’incertitude dans les idées de l’artiste, que de l’exposer à gâter un chef d’œuvre. Je vous conseille donc de ne faire aucune attention à ce que je viens d’avoir la témérité de vous dire, et de laisser votre monument tel qu’il est. Ce sera toujours un des plus beaux morceaux de sculpture qu’il y ait en Europe. Je suis, etc.


XI

À LANDOIS[1].


29 juin 1756.

Il y a, mon cher, tant de griefs dans votre lettre, qu’un gros volume, tel que je suis condamné d’en faire, m’acquitterait

  1. Cette lettre a été écrite à l’occasion du poëme de Voltaire sur le Désastre de Lisbonne, et conservée par Grimm, qui garda copie de ce « chef-d’œuvre » avant d’envoyer l’original au destinataire, Paul Landois, auteur de Sylvie, tragédie bourgeoise en un acte et en prose, et de divers articles de l’Encyclopédie sur la peinture.