Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/459

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eût fallu savoir pour vous conseiller ; mais il y en avait de très-importantes dont vous m’aviez instruit vous-même et je n’ai rien entendu des autres que je ne susse comme eux. Pour Dieu, mon ami, permettez à votre cœur de conduire votre tête et vous ferez le mieux qu’il est possible de faire ; mais ne souffrez pas que votre tête fasse des sophismes à votre cœur : toutes les fois que cela vous arrivera, vous aurez une conduite plus étrange que juste, et vous ne contenterez ni les autres, ni vous-même.

Que deviendrais-je avec vous, si l’âpreté avec laquelle vous m’avez écrit m’avait déterminé à ne plus vous parler de vos affaires que quand vous me consulteriez ? Mais tenez, mon ami, je m’ennuie déjà de toutes ces tracasseries ; j’y vois tant de petitesse et de misère que je ne conçois pas comment elles peuvent naître et moins encore durer entre des gens qui ont un peu de sens, de fermeté et d’élévation.

Pourquoi délogez-vous de l’Ermitage ? Si c’est impossibilité d’y subsister, je n’ai rien à dire ; mais toute autre raison d’en déloger est mauvaise, excepté celle encore du danger que vous y pourriez courir dans la saison où nous allons entrer. Songez à ce que je vous dis là, votre séjour à Montmorency aura mauvaise grâce. Eh bien, quand je me mêlerais encore de vos affaires sans les connaître assez, qu’est-ce que cela signifierait ? Rien. Ne suis-je pas votre ami, n’ai-je pas le droit de vous dire tout ce qui me vient en pensée ? N’ai-je pas celui de me tromper ? Vous communiquer ce que je croirai qu’il est honnête de faire, ce n’est pas mon devoir ? Adieu, mon ami, je vous ai aimé il y a longtemps, je vous aime toujours ; si vos peines sont attachées à quelque mésentendu sur mes sentiments, n’en ayez plus, ils sont les mêmes[1].

  1. M. de Castries, dans le temps de la quenelle de Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à M. de R…, qui me l’a répété : « Cela est incroyable, on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n’ont point de maison, logés dans un grenier ; on ne s’accoutume point à cela. » (Chamfort, éd. Hetzel, p. 205.)