Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/49

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assez bien, Angélique à merveille, moi couci couci. La chère sœur m’a enfin répondu ; je mens, car sa réponse est adressée à madame. Le saint prêtre n’a pas encore fait tout le mal qu’il a à faire, mais je vois qu’il est en bon train. Ce tempérament, qu’on a imaginé pour ne le point offenser, montre toute la faiblesse qu’on aura s’il insiste, et il insistera. Si les choses en viennent à un certain point, je vais en province, je vends mon patrimoine, et j’oublie des gens qui ne méritent pas un frère tel que moi. Les oublier ! je ne sais ce que je dis, je ne le saurais jamais ; c’est comme si j’avais à me plaindre de vous, et que je disse dans un moment de dépit : Voilà qui est fait, je ne l’aimerai plus.

J’ai reçu, ce matin, la visite de M. de Buffon. J’irai un de ces soirs passer quelques heures avec lui. J’aime les hommes qui ont une grande confiance en leurs talents. Il est directeur de l’Académie française, et, en cette qualité, chargé de trois ou quatre discours de réception ; c’est une cruelle corvée. Que dire d’un M. de Limoges[1] ? Que dire d’un M. Watelet[2] ? Que dire des morts et des vivants ? Cependant il n’est pas permis de les offenser par le mépris ; il faudra donc qu’il les loue, et il disait : « Eh bien ! je les louerai, je les louerai bien, et l’on m’applaudira. Est-ce que l’homme éloquent trouve quelque sujet stérile ? Est-ce qu’il y a quelque chose dont il ne sache pas parler ? » C’est bien par désintéressement que je loue cette confiance : car je ne l’ai point. Tout m’effraie au premier coup d’œil, et il faut que je sois de cent coudées au-dessus d’une besogne, quand je ne la trouve pas de cent pieds au-dessus de moi.

Adieu, ma tendre amie, quand est-ce que je vous embrasserai vraiment ? Sera-ce demain, après, ou après ? Cela me fera bien autant de plaisir qu’à vous : car votre absence a bien été

  1. M. de Coetlosquet, ancien évêque de Limoges, dont l’élection était assurée, eut la délicatesse de se retirer pour faire place à La Condamine, qui fut en effet élu en remplacement de Vauréal. Buffon reçut La Condamine le 21 janvier 1761. Sa courte réponse est fort remarquable. M. de Coetlosquet fut bientôt récompensé de son bon procédé. Il fut élu à la place de l’abbé Sallier ; mais comme il ne fut reçu que le 9 avril 1761, Buffon, ayant alors quitté ses fonctions de directeur, ne prononça pas la réponse qu’il avait préparée lors de la première candidature de M. de Coetlosquet et qu’un peu plus tard il eût trouvé l’occasion d’utiliser. On peut la lire dans ses Œuvres. (T.)
  2. Watelet, élu à la place de Mirabaud, fut en effet reçu par Buffon, le 19 janvier 1761. La réponse de ce dernier se trouve également dans ses Œuvres. [T.)