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manqué. Car je me suis plaint sincèrement qu’elle me dît d’une façon et qu’elle vous écrivît d’une autre.



XXXV

AU GÉNÉRAL BETZKY
Paris, 1766.
Monsieur,

Je suis très-honoré des marques de confiance que vous avez eu la bonté de me donner, et j’ai tâché d’y répondre avec tout le zèle et toute l’activité possibles ; mais Son Excellence le prince de Galitzin a su si bien gagner mon Falconet, qui, de son côté, a apporté tant de facilité à nos vues, qu’il ne me reste presque aucun mérite dans le succès de cette affaire. L’affabilité charmante du prince et le désintéressement singulier de l’artiste ont tout fait. Je perds un bon ami que le prince de Galitzin m’enlève ; et l’honneur d’être appelé par la plus grande des souveraines, et de travailler à la gloire du plus grand des monarques, ravit à la nation un homme excellent qu’elle regrette. Il n’y a qu’une voix sur le choix de votre artiste.

Falconet partira le 15 du mois de septembre prochain. Il n’y a aucune sorte d’intérêt qu’il n’ait sacrifié à l’empressement flatteur que vous avez de le posséder. Permettez, monsieur, à l’amitié de vous révéler ce que la hauteur d’âme de mon artiste vous aurait certainement laissé ignorer. Il s’éloigne d’un pays où il est honoré ; il quitte à cinquante ans son foyer, la maison qu’il a lui-même bâtie, les arbres qu’il a plantés, le jardin qu’il cultivait lui-même de ses mains, des amis qui lui sont chers ; il renonce à la méditation, à l’étude, à toutes les douceurs d’une retraite délicieuse ; avec une âme bonne et sensible, telle que Votre Excellence l’a reçue de la nature, elle concevra toute la force de ces sortes de liens, et combien il en doit coûter pour les rompre. Falconet les a rompus, et ce n’est ni la soif de l’or, ni l’ambition d’une plus