Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/499

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Un jeune comédien russe qui voyage aux dépens de Sa Majesté, sachant que c’était au général Betzky que mon Falconet était adressé, s’écria avec une naïveté qui me remplit de joie : « Le général ! c’est le plus honnête homme de la Russie. M. Falconet ne sera pas plus tôt arrivé, qu’il sera son enfant. »

Il ne me reste plus qu’un mot à dire à Votre Excellence : le projet de Sa Majesté serait-il d’appeler dans ses États des Français ? le moment est favorable. Mais oserais-je vous représenter, monsieur, que ce soient surtout des jeunes gens ? Il faut les prendre lorsque leur éducation est faite, leur tempérament fort et vigoureux, et leur talent bien décidé, entre vingt à trente ans. Ce n’est qu’à cet âge qu’on n’a point de patrie et qu’on en prend une. C’est dans cet intervalle qu’on épouse une contrée, et qu’on l’épouse si bien qu’on n’imagine plus qu’on puisse subsister heureusement sans un vitchoura. C’est alors que les passions se développent, et qu’on sent le besoin d’une compagne. Le vieillard arrive, rend les services qu’on lui demande, forme quelques élèves qui s’abâtardissent, reçoit les honoraires qu’on lui a promis, s’en retourne ; le jeune homme prend femme, a des enfants, et fait une famille qui reste.


XXXVI

À VOLTAIRE[1].
Paris, 1766.

Monsieur et cher maître, je sais bien que quand une bête féroce[2] a trempé sa langue dans le sang humain, elle ne peut

  1. Cette lettre a été écrite au mois de juillet ou d’août 1766, comme le prouvent plusieurs faits qui y sont rapportés. On ne trouve point (Correspondance générale de Voltaire) la lettre qui donna occasion à cette réponse. « C’était, dit Naigeon, une lettre en forme de mémoire, que Voltaire fit remettre par une voie indirecte, et dans laquelle, après un exposé des faits qu’il soumettait à l’examen de Diderot, il lui communiquait librement toutes ses craintes et lui conseillait d’abandonner la terre qui l’avait vu naître, l’invitait à le suivre dans sa retraite, et le conjurait, au nom de l’humanité, de ne pas rester exposé à la proscription dont le Parlement venait de donner le premier signal, et de ne pas sacrifier, par un stoïcisme déplacé, une vie et des talents qui pouvaient être encore longtemps utiles aux sciences et à la société. » (Br.)
  2. Le Parlement.