Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/510

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mon auguste bienfaitrice. Oubliez-moi ; car si vous vous rappelez que vous avez sous vos yeux celle à qui je dois mon bonheur, je connais votre âme, l’ébauchoir vous tombera des mains, et vous pleurerez. Si c’est en vain que je vous préviens et qu’il vous échappe une larme, essuyez-la bien vite. Songez que les instants précieux que Sa Majesté vous accorde sont pris sur le temps qu’elle doit aux grandes choses que sa tête projette ; songez qu’elle est pressée de parcourir les diverses contrées de son vaste empire, et de porter les espérances d’une félicité future à cent peuples qui l’attendent et dont vous suspendez les acclamations. Hâtez-vous donc ; cependant rendez bien cette physionomie pleine de bonté, de douceur, de grâces, de finesse et de dignité ; et qu’en voyant ce buste sur le piédestal que je lui destine, il me transporte, m’anime, m’en impose, et ne me permette pas d’écrire une ligne médiocre.

Monsieur, j’ai assez de fortune si je sais en quoi consiste le vrai bonheur et je n’en aurai jamais assez si j’ignore ce point. Arrêtez donc, je vous en supplie, la main bienfaisante de Sa Majesté Impériale. Mais je n’ai d’elle qu’une bien mauvaise gravure. S’il est vrai que Mlle  Victoire fasse son portrait, et que vous vouliez mettre le comble à toutes les obligations que je vous ai, vous ordonnerez qu’on m’en envoie une copie réparée par la jeune artiste.

Vous ne voulez donc plus être Excellence : eh bien, monsieur, soyez satisfait ; mais vous resterez excellent, malgré que vous en ayez.

Non, mon excellent, non, je ne m’en dépars pas, c’est l’affabilité du prince de Galitzin, le désintéressement de l’artiste, et peut-être, s’il faut dire tout, le noble désir de s’illustrer par un grand monument, qui ont arraché mon artiste philosophe à sa retraite, qui lui était plus chère encore que sa patrie. Je ne saurais accepter un mérite que je n’ai point. S’il a plu à Sa Majesté Impériale de récompenser magnifiquement une marque légère de mon zèle à la servir, je n’en suis point surpris : c’est qu’il convient aux souverains comme elle de récompenser magnifiquement les moindres bagatelles qu’on fait pour eux.

Je suis trop heureux d’avoir arrangé à la satisfaction de Sa Majesté et à la vôtre les conditions du voyage de Falconet, Ah ! vous me promettez le bonheur de mon ami, de Falconet ;