Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/84

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voir quel plaisir ils avaient à se préférer l’un à l’autre : « Cette prose est charmante. — Eh, non, mon ami, c’est celle que vous avez écrite sur tel sujet qu’il faut entendre, pour être dégoûté de la mienne. Dites-nous-la..... » Le plus jeune, qui s’appelle Nicolaï, nous récita la fable suivante : « Sur la fin de l’été, des fourmis, les plus laborieuses du canton, avaient rempli leurs magasins ; elles regardaient leurs provisions avec des yeux satisfaits, lorsque tout à coup le ciel s’obscurcit de nuages, et il tombe sur la terre un déluge d’eau qui disperse tous les grains amassés à si grande peine, et qui noie une partie du petit peuple. Celles qui restaient, poussant leurs plaintes vers le ciel, disaient, en demandant raison de cet outrage : « Pourquoi ce déluge ? à quoi servent ces eaux ? » Et, pendant que ces fourmis se plaignaient, Marc-Aurèle et toute son armée mouraient de soif dans un désert. » Méditez cela, mes amies. L’autre, qui s’appelle M. de La Fermière, nous dit qu’un père avait un enfant. Il avait tout fait pour le rendre heureux ; mais il s’apercevait bien que tous ses soins seraient inutiles, si le ciel ne les secondait en écartant les circonstances malheureuses. Il alla au temple ; il s’adressa aux dieux, il les pria sur son enfant : « Dieux, leur dit-il, j’ai fait tout ce que je pouvais ; l’enfant a fait tout ce qu’il pouvait, remplissez aussi votre fonction. » Les dieux lui répondirent : « Homme, retourne chez toi ; nous t’avons entendu ; ton fils et toi, vous jouirez du plus grand bonheur que les mortels puissent se promettre. » Ce père, bien satisfait, s’en retourne ; il trouve son fils mort, et il tombe mort sur son fils. Il faut que la vie soit en effet une mauvaise chose : car cette prière, j’en devinai la fin, et je ne l’ai presque récitée à personne qui n’en ait deviné la fin comme moi.

Si j’étais à côté d’Uranie, je lui baiserais la main pour la fleur posthume qu’elle me présente ; acquittez-moi..... Eh bien ! il vous vient donc quelquefois des idées folles ? Continuez de vous bien porter, et conservez-moi cette santé.

Vous devez avoir à présent la lettre de M. Vialet. Je vous l’ai dit cent fois, et vous ne vous corrigez point ; vous vous pressez toujours trop de me gronder. Le morceau Sur les probabilités est un grimoire qui ne vous amusera pas. Les chansons écossaises sont entre les mains de M. de Saint-Lambert qui ne rend