Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/85

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rien, parce qu’il communique tout ce qu’on lui prête à Mme d’Houdetot, qui perd tout. Grimm a le morceau que j’ai traduit. Je trem])le de vous envoyer Miss Sara Sampson[1], de peur qu’il ne vous en arrive comme à moi, et que si l’on venait, comme on vient de me faire, à décacheter le paquet, on ne le taxât, et qu’il ne vous en coûtât une vingtaine de francs. Malgré cela, nous risquerons, si vous l’ordonnez. Il y a cent à parier contre un que nous réussirons ; voyez.

Vous n’aimez pas que mes amis, les hommes les plus volontaires du monde, et surtout Grimm, le plus volontaire d’entre eux, me boudent de ce que je m’émancipe quelquefois à faire ma volonté ; ni moi non plus, je ne l’aime pas. Mais soyons justes. Ont-ils eu tort de prendre et d’exercer un empire que je leur abandonnais ? Aurais-je, à leur place, été plus sage, plus discret qu’eux ? N’y a-t-il personne que je domine sans en avoir d’autre droit que la faiblesse de celui qui se laisse dominer ?

Ne me parlez pas de cette petite guenon de Mlle Arnould. S’il lui restait l’ombre du sentiment, la lettre d’excuse que le comte vient de lui écrire, en lui faisant six mille livres de pension, la ferait crever de douleur. C’est une lettre bien faite ; c’est une excuse bien cruelle. Il n’aurait jamais cru qu’il fût un jour dans le cas de mettre un prix à sa tendresse, et cætera, et cætera. Le texte est beau, comme vous voyez. Il vient de publier un novel amphigouri ; c’est Mlle Arnould qu’il promène chez des prêtres, chez l’archevêque, chez M. de Rombaude, et enfin chez l’ami Pompignan. Le morceau de Pompignan est assez bien. Il l’avait vu la nuit en vision : c’est avec elle qu’il doit consommer l’effet de la grâce antiphilosophique. Comme l’Antéchrist doit naître d’une religieuse qui apostasie et d’un pape sans mœurs, le destructeur de la philosophie moderne doit naître d’un poëte qui a renoncé à toute vanité, et d’une actrice qui a quitté le péché, etc., encore : car il suffit de vous mettre sur la voie.

Vous jugez bien vite mon avocat. Uranie, je vous le recommande ; prenez un peu sa défense. Aurez-vous donc bien de

  1. Pièce anglaise dont Diderot n’a pas publié la traduction. Voir la note de la page 434, tome VIII.