Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeurant, les confidences de sa rivale recommencent. Quelle position ! Que feriez-vous en pareil cas ? — En pareil cas ! si vous étiez obsédée d’amants ! moi, je m’en irais chercher une femme moins occupée.

Non, Saurin ne sera plus des nôtres ; il y a un certain beau-frère dont il craint la rencontre. On dit que sa femme est grosse[1]. Avant son mariage il détestait les femmes grosses. Voilà un sentiment bien dénaturé ! qu’en dites-vous ? Pour moi, cet état m’a toujours touché. Une femme grosse m’intéresse ; je ne regarde pas même celles du peuple, sans une tendre commisération.

Notre despote[2], par la défense qui vous blesse, voulait prévenir la tracasserie qu’il prévoyait. Sa dame vient de m’écrire qu’on lui a fait bien du mal ; j’entends tout ce que cela signifie.

Vous allez donc avoir le jeune et vermeil Fayolle ? S’il était curieux, lui ?

Je vous écris aujourd’hui samedi, afin que ma lettre parte demain. Autre cas de conscience qu’il faut que je vous propose avant que de la fermer : celui-ci m’embarrasse plus que le premier. Une femme sollicite un emploi très-considérable pour son mari ; on le lui promet, mais à une condition que vous devinez de reste. Elle a six enfants, peu de fortune, un amant, un mari ; on ne lui demande qu’une nuit. Refusera-t-elle un quart d’heure de plaisir à celui qui lui offre en échange l’aisance pour son mari, l’éducation pour ses enfants, un état convenable pour elle ? Qu’est-ce que le motif qui la fait manquer à son mari, en comparaison de ceux qui la sollicitent de manquer à son amant ? La chose a été proposée tout franchement par un certain homme qui serrait une fois les mains à une certaine femme de mes amies : on lui a accordé quinze jours pour se déterminer… Comme tout se fait ici ! un poste vaque, une femme le sollicite ; on lève un peu ses jupons ; elle les laisse retomber, et voilà son mari, de pauvre commis à cent francs par mois, M. le directeur à quinze où vingt mille francs par an. Cependant quel rapport entre une action juste ou généreuse, et la perte voluptueuse de quelques gouttes d’un fluide ? En vérité je crois que Nature ne se soucie ni du bien ni du mal ; elle

  1. Voir la lettre lxii.
  2. Grimm, sans doute.