Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/116

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en moi une cause de plus, et si vous voulez être effrayé de la véhémence de cette cause, promenez votre imagination un moment dans l’histoire, et puis voyez si mon silence, si toutefois je me suis tu, est un hommage rendu à ce qu’il vous plaît d’appeler la vérité.

Le respect de la postérité est-il honnête ? le sentiment de l’immortalité appartient-il à une âme folle ou grande ?

Vous êtes très-bien monté pour la route que vous avez prise, mais il faudrait au défenseur de ma cause une autre monture que vous trouveriez bien si vous le vouliez.

Je n’ai pas dit, ou j’ai eu tort de dire que la louange du contemporain ne fut jamais pure ; mais je pense qu’il est rare qu’elle le soit.

Voici la différence du jugement que nous portons des vivants de celui que nous portons des morts : s’agit-il des vivants ? Nous glissons sur les beautés, nous appuyons sur les défauts. S’agit-il des morts ? C’est le contraire, nous nous épuisons sur les beautés et nous glissons sur les défauts. On se sert des morts pour contrister et déprimer les vivants. Mais, mon ami, si l’on se sert des anciens pour vous faire enrager, songez qu’on se servira de vous pour désespérer nos neveux.

Je vous félicite d’avoir obtenu pleine et entière justice, et d’avoir été loué de vos contemporains sans si, ni mais, ni car ; mais souvenez-vous que quand on échappe à la conjonction, c’est une fois, sans conséquence ; et que si vous n’avez pas été très-sensible à cette exception, vous êtes un ingrat, et que si vous l’avez vivement ressentie, vous êtes en contradiction.

Moi, ingrat envers mes contemporains ! Moi ! je fais le plus grand cas de leur estime, quand elle est sincère, éclairée et constante. Où avez-vous pris que cette ambition qui porte mes vues au delà de mon existence et de la leur, qui est une pointe de plus mon à éperon, et qui dans mille sentiers épineux devient la seule qui lui reste, puisse jamais être attaquée ? Pour juger les hommes, il ne s’agit que de trouver leurs vraies voix, et voici la mienne. Je dis à mes contemporains : « Mes amis, si je puis vous plaire, sans me mépriser, sans me plier à vos petites fantaisies, à vos faux goûts, sans trahir la vérité, sans offenser la vertu, sans méconnaître la bonté et la beauté ; je le veux. Mais je veux plaire aussi à ceux qui vous succéderont et