Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/121

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de cœurs je vais faire palpiter ! que je vais faire renverser de têtes ! Qu’un contre-temps la retienne chez elle et rende tous ses apprêts inutiles ; le temps de sa toilette en a-t-il été moins doux ? Trop heureuse cette femme, si elle avait pu y passer toute sa vie.

Le sentiment de la postérité ne l’occupe guère. D’accord, c’est que ce n’est qu’une caillette. Mais Hélène vous eût paru bien folle, si elle eût dit au statuaire. Prends ton ciseau, et montre à la curiosité des nations à venir cette femme pour laquelle cent mille hommes se sont égorgés ; fais que les vieillards des siècles futurs, passant devant ton ouvrage, s’écrient comme les vieillards d’Ilion lorsque je passai devant eux : Qu’elle est belle ! elle ressemble aux immortelles jusqu’à inspirer, comme elles, la vénération !

Et de quoi diable me parlez-vous de vos petites débauchées qui se font peindre à l’insu de leurs pères, de leurs mères, de leurs époux, et qui recèlent dans le dessus d’un étui ou le dessus d’une boîte à mouches l’image honteuse d’un adultère clandestin ? Est-ce que ces âmes-là sont faites pour loger le sentiment de la postérité, le zèle de l’immortalité ? Est-ce à cela qu’il appartient d’en appeler aux siècles futurs ? Cet appel, c’est le cri de la vertu qui succombe sous l’oppression ; c’est le cri du génie transporté de son propre ouvrage ; c’est le cri de l’héroïsme ; c’est le cri de la conscience après une action sublime ; et ce cri n’est jamais ridicule ni dans le moment, ni dans l’avenir, lorsqu’il est autorisé par le suffrage d’un peuple éclairé par la vérité, ou lorsqu’il est arraché par la barbarie d’un peuple féroce et stupide.

Ce n’est pas seulement Pausanias, ce n’est pas seulement Pline qui déposent du talent de Phidias et d’Apelles. C’est l’Hercule de Glycon, c’est l’Antinoüs, c’est la Vénus de Médicis, c’est le Gladiateur d’Agasias. Voilà le vrai garant de leur mérite, et ces panégyristes-là ne louent pas platement. L’histoire nous apprend un fait populaire, c’est que tous ces artistes étaient rivaux les uns des autres. C’est que vous témoignerez un jour pour Bouchardon et Pigalle ; c’est qu’ils témoigneront dans l’avenir pour vous. Ne sait-on pas que vous faites comme eux ? Pour que la postérité fût injuste, il faudrait que le siècle présent mentît sur un fait qui n’est pas ignoré des enfants. Pour