Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/124

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lestement ? L’avez-vous visité chez lui ? Savez-vous que c’est l’homme du plus profond savoir et du plus grand goût ? Savez-vous que le mérite de le bien sentir est un mérite rare ? Savez-vous qu’il n’y a que Tacite et Pline sur la même ligne ? Voici comment le petit radoteur parle des artistes que la mort a surpris au milieu de leur ouvrage : In lenocinio commendationis dolor est ; manus, cum id agerent, exstinctœ desiderantur[1] ? Êtes-vous bien sûr de sentir toute la délicatesse de cette ligne ? Vous doutez-vous que le coulant de certains contours n’est pas plus difficile à bien saisir que celui de cette expression ? Il y a dans son ouvrage mille endroits de cette finesse. Mon ami, je vous souhaite un Pline : mais songez, Falconet, que s’il a fallu vous attendre des siècles, il se passera des siècles avant que le panégyriste digne de vous et l’égal de Pline soit venu.

Si vous êtes honteux pour les artistes de la Grèce de la manière dont ils ont été appréciés par l’historien latin, vous êtes le plus malheureux mortel qui soit sous le ciel. Vous ne serez jamais mieux célébré ni par aucun de vos contemporains, ni par aucun de nos neveux. Moi qui me mêle quelquefois de parler des productions des arts, je ne sais si je vous contenterais ; mais je serais assez content de moi, si j’avais su dire d’un de vos morceaux, comme il a dit du Laocoon : Opus omnibus et picturæ et statuariæ artis prœponendum[2]. Le beau tableau !

Si vous n’avez lu que Dupinet[3] et Caylus, vous connaissez Dupinet et Caylus, mais vous ne connaissez pas Pline. Relisez bien le passage que je vous en ai cité, et soyez sûr qu’il y a une musique si fine, que peu d’oreilles l’ont sentie. Mais laissez là pour un moment la musique de Pline, et hâtez-vous de lire ce qui suit.

Eh bien, Pline n’a pas connu les beautés des arts !… je le veux. Il a loué platement des ouvrages sublimes ! j’y consens. Ce n’est pas ainsi que l’homme du métier en aurait parlé ! je le crois. Mais Pline, qui était un grand homme, qui respectait son siècle, qui respectait la vérité, aurait-il parlé honorablement de

  1. Pline, lib. XXXVI.
  2. Ibid.
  3. Antoine Dupinet. Sa traduction de Pline (1542) a été longtemps la seule qu’il y eût en France.